• Il y a un endroit où il ne faut jamais aller. Enfin, ne jamais aller si vous possédez quelques onces d’humanité, de compassion, voire d’amour dans votre besace. Cet endroit c’est un refuge de la SPA, parce que sinon … Déjà, au JT, quand ils vous passent le marronnier du début de l’été et que vous découvrez ces chats, ces chiens qui vous implorent du regard, vous risquez de vous précipiter. Heureusement pour moi, je ne regarde que le JT de 20 heures. L’est trop tard, font pas nocturne

    C’est pas que j’aime pas les bêtes, loin de là, au contraire, je vous raconterai un jour, mais je sais d’avance que, si je me hasardais en ces lieux, je n’en ressortirais qu’encombré d’une boule de poils demandant de l’amour. Et donner de l’amour à une boule de poils, c’est une astreinte énorme. Ou alors c’est que t’es un salaud.


    J’ai un pote, il y a quelques semaines, il a fait l’erreur. Quand je dis l’erreur : il est majeur et vacciné et personne ne lui a mis une épée dans les reins pour l’y contraindre, une « erreur » volontaire quoi. Et c’est comme ça que Teddy s’est trouvé un nouveau maître (quel affreux mot). Teddy c’est un border-colley, pas tout à fait y’a de la bâtardise en plus, mais en gros c’est ça. L’avait dû décevoir le berger qui avait commencé à le (mal) dresser et il a échoué à la SPA. C’est pas glorieux, mais c’est quand même moins pire qu’un abandon au bord d’une route, convenons en. Z’ont flashé l’un sur l’autre, je parle du pote et de Teddy, mais ce dernier a quand même eu du mal. Au début. Où suis-je ? Que dois-je ? Que ne dois-je pas ? Il crie pas ? Il tape pas ? Ben avant, j’avais pas le droit de rentrer, je peux là ? T’es sûr ? Lui a fallu s’adapter

    Maintenant c’est fait. Il y a quelques jours, j’ai passé l’après-midi chez le pote en question. Une petite reniflette – en plus je venais de chez mes parents, je devais avoir l’odeur de  leur chien sur moi – quelques paroles apaisantes, deux ou trois caresses et j’avais le droit de cité. Comme d’habitude, le copain et moi, on a passé l’essentiel du temps à papoter de choses et d’autres. Teddy s’est fait une raison et a attendu, patiemment, allongé ici ou là. Puis il a été question de promenade, alors là ça l’a intéressé, il était prêt. Avide même. Le copain était déjà debout et moi aux trois quarts, quand soudain il a pensé à un morceau de musique qu’il voulait me faire écouter. S’est dirigé vers le piano et a commencé à jouer. Teddy l’a considéré d’un air ébahi : c’est pas par là la porte ! L’a rejoint au piano et, voyant qu’il y jouait pour de vrai, il s’est tourné vers moi et m’a lancé un long regard de reproche : « Pourquoi tu lui as demandé de jouer du piano ? On allait sortir ! » J’y étais pour rien moi ! Mais va donc expliquer ça – sans parler, y’avait le piano – à Teddy

    On est quand même sorti, juste après.

    Je ne sais pas pourquoi y’en a qui vont sur meetic ou sur edarling, suffit d’avoir un chien. Si tu veux faire des rencontres, speed-dater, et par affinités qui plus est, draguer même, c’est l’outil idéal. Homme, femme, couple, jeune, vieux, t’as tous les choix. Tu te promènes sur le chemin piétonnier le long de la rivière. Tu croises ou tu te fais doubler par les joggeurs, les cyclistes en goguette, le gamins en patinette ou en rollers selon l’âge, et par les maîtres et leur chien. Et c’est les chiens qui font les présentations : « Tiens, t’es un copain toi ? ou une copine ? On joue ? On joue à courir ou à la bagarre ? Hop, on dirait que j’ai perdu. On recommence ? Hop, on dirait que j’ai gagné. Etc. » Les maîtres attendent, poliment, et, pour peu que ça dure légèrement, causent. Oh bien sûr, tu peux ainsi tomber sur un grincheux, mais comme son chien sera lui aussi antipathique, t’abrégeras sans remord. Par contre, le plus souvent, tu noues conversation. Ça peut être occasionnel : première fois que l’un ou l’autre passe par là, mais ça peut être aussi quasi quotidien. Après à toi de voir si tu prolonges. C’est même parfois instructif ! Ce jour-là j’ai appris que « cane corso » ça voulait pas dire « chien corse » mais « chien de cour ». Et pas la cour du roi, hein ! la cour de ferme.


    À la fin de l’après-midi, on était rentré et on était reparti dans nos papotages, Teddy a eu droit à une séance de poutous-poutous de la part du copain. L’était heureux, l’était fier. Et là aussi j’ai eu droit à un regard. Au milieu d’une caresse, il a légèrement tourné la tête vers moi et son œil brun m’a dit : « T’as vu ? C’est moi son vrai copain ! Pas toi. Na-na-nère … ».


    Teddy



    1 commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires