• À propos du titre d’un article aperçu un jour dans « Elle ».

    J’ai déjà parlé ailleurs de ce titre, mais ce n’était alors que pour en rire, vous comprendrez vite pourquoi lorsque je vous le livrerai. (C’était ici).
    Puis je me suis rendu compte que nous avions là une parfaite illustration de ce « mimétisme » dont, à la suite de René Girard, je vous ai déjà entretenu et j’ai décidé d’analyser les choses un peu plus à fond.

    D’ailleurs plutôt que du mimétisme lui-même, ce qu’illustre ce titre c’est ce principe : « Nous désirons ce qu’on nous montre à désirer. ».

    Je n’ai pas lu l’article, j’étais dans la salle d’attente d’un médecin et une autre patiente, voisine, feuilletait la revue. Donc, je ne connais pas le contenu de l’article, mais à lui seul le titre est significatif. Je vous le donne :

    « Je suis amoureuse du mari de la maîtresse de mon époux. »


    Quand j’ai aperçu ça du coin de l’œil, ma première réaction a été l’incrédulité, vite remplacée par une (difficilement coercible) envie d’éclater de rire. Je me suis retenu et je n’ai pas non plus fait la moindre réflexion à la lectrice.
    Mais réfléchissons…

    Le schéma de base du mimétisme ou plutôt du « désir induit » est triangulaire. Soit trois personnes A, B et C, en réalité ici C peut très bien être un objet plutôt qu’une personne. Pour une raison ou pour une autre, A trouve B digne d’intérêt (admiration, amour, domination, fascination, etc.). B « montre » son désir pour C. Je dis bien « montre », il peut feindre cela ne change rien à la suite. Automatiquement, A va se mettre à désirer C.

    On lit ce schéma ainsi :
    A apprécie, admire, est fasciné par, etc. B
    B lui montre C à désirer (soit en le désirant soit en feignant de)
    A va se mettre à désirer C.

    Ce schéma est à la base d’un nombre incalculable de phénomènes que vous connaissez tous, listons en quelques uns :

    Premier exemple publicitaire : Je veux vendre une voiture (ou un camion, ou une tronçonneuse, peu importe). Que fais-je ? Je mets une pin-up quelconque à côté de l’objet. Pourquoi ? Parce que l’acheteur est a priori un mâle qui, par hypothèse, va être intéressé par la pin-up, et si celle-ci montre son intérêt pour l’objet, cet objet devient désirable. Et ça marche.
    Notons une variante actuelle de la chose :
    Le Français est censé être fasciné et béat devant l’Allemand si prospère. Je veux vendre une voiture de marque allemande, que fais-je ? Un spot publicitaire où on ne cause qu’allemand (« Deutsche technologie ») et je rends désirable cette voiture de fabrication slovaque. Et ça marche.

    Deuxième exemple publicitaire : Je veux vendre une cigarette. Je montre un beau cow-boy qui la fume. Pourquoi ? Parce que le mythe du cow-boy fascine le mâle (et la femelle) occidental(e) et, si ledit cow-boy apprécie cette Ma…ro, je me dois d’en faire autant. Et ça marche.

    Les exemples publicitaires abondent, un dernier pour la route. Je dois vendre une lessive ou tout autre produit du genre, que faire ? J’engage une vedette (de la chanson, du cinéma, de la télé, peu importe) et je lui fais présenter mon produit. Et ça marche.

    Mais il n’y a pas que la publicité, prenons le « vaudeville ». Phrase célèbre : « Et c’est avec mon meilleur ami qu’elle me trompe ! » (on peut sans dommage inverser les sexes). Ben non, c’est parce que c’est ton meilleur ami que c’est avec lui qu’elle te trompe !

    Etc.

    Venons à notre titre. Je vous le rappelle : « Je suis amoureuse du mari de la maîtresse de mon époux. », la situation se complique car cette fois nous n’avons plus 3 protagonistes, mais 4. Je vais appeler A le « je » de cette phrase, B son époux, C la maîtresse de B et D le mari de C. Nous avons alors le schéma ci-dessous, un quadrilatère cette fois, mais nous allons voir qu’en réalité il se résout en la juxtaposition de deux triangles comme celui dont nous avons parlé avant.

    Nous pouvons d’abord considérer le triangle ABC comme du même type que celui déjà étudié. La relation maritale, même compromise, de A vers B continue de fonctionner quelque peu. Mais B désire C. Donc A voudrait désirer C elle aussi. Mais supposons la à 100% hétéro, cela ne lui est pas possible :

    C’est ici que se juxtapose le deuxième triangle : ACD. A aimerait mais ne peut désirer C, apparaît dès lors comme une sorte de fascination : « Mais qu’est-ce qu’elle a de plus que moi ? ». C a désiré, au moins à une époque, D. Donc D devient désirable pour A :

    Juxtaposons et on a notre titre.

    J’ai supposé, le contexte y invitait, que nous avions à faire à deux couples hétérosexuels, la situation serait semblable avec deux couples homosexuels ou même un mélange des deux.

    Il y a plus, la situation peut se transformer d’une autre façon : D est ignoré, et A assouvit avec C une relation homosexuelle (au grand dam de B !). Ça s’est vu.

    Il y a encore plus. Vous aurez remarqué qu’il manque une diagonale à mon quadrilatère : BD, eh bien, elle peut se mettre à exister ! Et B laissant tomber C, se mettre en relation avec D. Ça s’est vu aussi.

     

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Marc Daya
    Dimanche 19 Mai 2013 à 16:35

                Leoned,

    Je note quelques rares idées , comme elles me viennent, en désordre, ma réponse sera moins ordonnée que ton article et que ton Blog: (c'est un labyrhinte sans Minotaure, mais aussi sans Ariane, on y croise bien quelques Dames , mais elles se sont  perdues ).

              Je constate:

    En littérature , de Shakeaspeare et Racine à Proust de semblables "mécanismes" sont à l'oeuvre, cela prend diverses formes, les sciences humaines ont récidivé. IL faudrait les classifier, si tu en as le temps...

    J'emploie à dessein le mot "mécanisme", il est curieux de constater que les plus célébres écrivains cachent derrière tous les chatoiements infinis de leur style des structures assez simples: presque toute La Recherche de Proust tourne autour de quelques situations de ce genre, Swann découvre qu'il aime Odette quand elle lui apprend qu'elle l'a trompé avec une femme qu' elle ne connaissait meme pas, celle-ci l' séduite à peu prés  par ces mots: "viens avec moi dans le bois, je te montrerai la nouvelle Lune..",(Proust est parfois drole,suit la réaction de Swann trés voisine de ce que tu as décrit ) . Cele se répéte régulierement dans "la Recherche" et pas seulement pour le désir amoureux.

    En SF une nouvelle de Van Vogt (The Cataaa...) réduit tout le comportement humain à une seule faiblesse, un extraterrestre la découvre immédiatement, les hommes se contentent d'en souffrir.

    Etc .... il y a plein d'exemples.

                En pratique, nous vivons et nous agissons:

    Si tu te trouves, toi Léoned en situation  de désir mimétique, ton comportement a-t-il changé depuis que tu as découvert cette "loi" ?

    Autrement dit, la connaissance du phénomène  permet-elle d'échapper à cette réaction le plus souvent peu désirable, voire dangereuse?

    Si A désirant D est conscient de ce qui lui arrive,si le désir"induit" entraine une catastrophe et si A ne se controle pas, c'est "tragique"...

    Parce que ce que tu racontes c'est trés bien, mais si ça ne nous aide pas, nous les pauvres paumés du mimétisme basique, à quoi sert ce message ?  ce" schéma de base", vu ses consèquences, c'est bien une faille , une faiblesse de la nature humaine qu'il révéle. Faut-il essayer d'améliorer l'homme? ça a déjà été tenté et ça n'a pas vraiment réussi...

    La société humaine sera t- elle meilleure si on enseigne cela à l'école? la religion (l'envie est un des péchés capitaux) , l'art ont essayé de faire passer des messages voisins (la Chatarsis ? )

    Je n'ai fait que survoler les textes de Girard, mais il me semble qu'il y  fait allusion à la littérature Grecque, je ne vois pas comment appliquer ce schéma dans Eschyle (l'Orestie) , et Sophocle (Oedipe, Antigone).IL y a des tragédies dont le ressort est l'honneur, la vengeance,le remord, le refus d'obeir...

                Pédantisme:

    Toi qui fus mathématicien, ne penses-tu pas que la topologie de l'espace que tu utilises pour tes schémas induit une partie du résultat? est-il légitime de représenter tout l'esprit humain (A,B,C,D) par un point, sur un plan? l'espace des états de l'esprit est-il isomorphe à R*R?  est- il connexe? discret? et l'action entreprise par un etre humain par une seule fléche ?(avec rires, y-a-pas de rapport avec Chasles?)

    Il ne faut pas que je tombe dans le délire mathématico-philosophique, tu connais tout ça mieux que moi.

     

           Bon courage.

     

     

     

     

     

    2
    Dimanche 19 Mai 2013 à 18:35

    hou là là que de réflexions, et au sujet de ton blog je l'aime bien , le suis mais par manque de temps et pour passer voir tout le monde, je ne lis pas tout bien que tout soit interessant je sélectionne

    3
    Dimanche 19 Mai 2013 à 21:14

    @ Marc Daya

    J'expédie tout de suite la dernière partie de ton commentaire : bien sûr que c'est simplifié, c'est le propre d'un schéma. Mais cries-tu au scandale parce que le diagramme de Minkowski ose représenter l'espace-temps relativiste (4 dimensions) par un simple graphique à 2 dimensions ? Non, car c'est un outil fort commode. Même chose ici.
    D'ailleurs, j'insiste sur ce point : je ne dis nulle part dans ma série d'articles sur ce sujet que le "mimétisme" explique tout du comportement humain. Même certaines choses que R. Girard prétend expliciter ainsi, je les estime nettement plus complexes, le "sacré" par exemple.

    Que tu fasses référence à Proust m'a bien plu : c'est en lisant "La recherche..." que cette idée est venue à Girard ! (voir Mensonge romantique et vérité romanesque, son premier livre) J'ai moi-même ici utilisé Shakespeare pour illustrer (Roméo et Juliette).
    Pour les tragédies grecques, Girard ne dit pas qu'elles traitent du mimétisme, il dit qu'elles (certaines) traitent du "sacrificiel" qui, conséquence du mimétisme, est pour lui le fondement du sacré.

    Dernier point : cela sert-il à quelque chose de connaître ce mécanisme ? Réponse : oui, même si ça ne suffit pas.
    Si tu sais sur quel ressort fonctionne telle ou telle pub, tu y résisteras mieux.
    Si A savait ce qui la pousse, elle réaliserait peut-être qu'elle n'est pas réellement "amoureuse" de D.
    Et je peux t'assurer que, dans mon cas personnel, ça m'a parfois aidé à ne pas me laisser entraîner dans un emballement mimétique et, que, en sens inverse, ça m'a parfois permis de dénouer quelques crises qui montaient.

     

    4
    Lundi 20 Mai 2013 à 13:59

    Bien...là, je suis perdue! Il ne faut pas me faire de graphismes, je bloque automatiquement. 

    La pub , présentée par une vedette, par un allemand etc...me fait fuir! J'achete non en fonction de la pub mais en fonction de l'odeur (si c'est une lessive, un parfum) , de l'aspect, du pratique, du prix etc....Pour ce qui est du ressort amoureux, démonter le mecanisme n'éite pas de tomber dans le piège..Et heureusement parfois! Décortiquer l'amour comme certains livres le font me fait là aussi fuir car où est le rêve,le bonheur d'etre aimé si ce n'est qu'une question de molécules ou de ressort....D'autres fois, il aurait peut etre mieux valu savoir mais alors qu'est ce que vivre sinon prendre des risques? Actuellement, je schematise trop, plus de laisser aller....Résultat: solitude.Est ce mieux? 

    5
    Julie Pietri Profil de Julie Pietri
    Lundi 20 Mai 2013 à 19:54

    Ouh ! La vache !

    Tu es vraiment obligé de tout intellectualiser ? Et avé des schémas en plus ... si au moins tu avais pris des dessins érotiques, peut-être aurais-je pu suivre le raisonnement. Mais là, j'ai lâché très vite.... aïe ! aïe ! Aïe ! et en pls, je n'ai toujours pas lu ton article concernant le mimétisme ! A présent je vais avoir peur de m'y rendre ... que vais-je encore trouver ?

    6
    Lundi 20 Mai 2013 à 19:58

    @ Bicar

    Si ça peut te rassurer, j'y parle entre autres d'un toast au saumon et de poireaux...

     

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