• Bonne année, bonne santé

    Quand j’étais môme, y’avait un rite familial et annuel : la tournée du Nouvel An. Et c’était pas qu’un peu : six visites à faire dans la journée. Le matin du 1er Janvier fallait se lever de bonne heure, s’habiller en Dimanche, et zou c’était parti dans la voiture et roule Simone.

    Six visites j’ai dit, y‘en avait deux qui posaient pas problème : les grands-parents, des deux côtés, d’ailleurs à la limite on aurait pu surseoir ça n’aurait pas (trop) choqué. Mais on sursoyait pas. Pas bien nécessaires pourtant, on les voyait assez régulièrement, mais bon l’occasion était impérative. Donc, bisous, bonne année, bonne santé, et tiens voilà tes étrennes. Bienvenues certes, mais après tout huit jours après Noël, ce n’était guère qu’un complément. Dispensable.

    Mais y’avait les quatre autres, et là c’était moitié moitié. D’abord, moitié Papa et moitié Maman, ensuite et surtout, moitié plaisant, moitié corvée. Je vais dire les vrais noms, après tout sont tous morts maintenant, et il n’a guère que les vieux membres de ma famille qui les reconnaîtront. Y’aura pas trop d’offense.

    Donc, du côté Papa, y’avait Tante Germaine et Tonton Paul, sœur du grand-père adoré et son second mari, et y’avait Cousin Marcel et Tante Eugénie, vieux copain de la guerre dudit grand-père qui avait épousé, successivement, les deux cousines du même dit grand-père : Margot d’abord, puis, donc, sa sœur Eugénie maintenant. (La Margot l’était morte, je l’ai pas connue, pas plus que je n’ai connu le premier mari de la Tante Germaine).

    Du côté Maman, y’avait Tante Henriette, veuve du Tonton Alphonse (pas connu lui non plus) et sa fille Élisabeth, et y’avait Tonton Amédée et Tante ‘Tine. Respectivement sœur et frère du grand-père maternel. Le plus bizarre, si on réfléchit bien, c’est qu’il y en avait d’autres des frères et sœurs survivants de ce grand-père. Mais eux on les visitait pas. Va savoir pourquoi. Un jour je vous raconterai la Tante Maria.

    Des deux côtés, il y avait une corvée et un plaisir. Je ne sais plus trop comment mes parents répartissaient la chose, mais j’ai bien l’impression qu’ils expédiaient les corvées le matin et réservaient l’après-midi aux plaisirs. Suis pas sûr, d’autant que c’étaient pas pour eux l’aspect corvée ou plaisir, c’était pour nous, moi, mon frère et ma sœur.

    Aller chez Tante Henriette, c’était pénétrer dans un appartement toujours plongé dans le noir. Venait juste d’enlever les housses des fauteuils de la salle à manger où elle nous recevait, mais n’avait pas penser à ouvrir les rideaux. Les doubles rideaux. Fallait s’asseoir, tout raide, sur des fauteuils encore plus raides et rester là, sages, silencieux et bien polis. Au bout d’un moment, la fille, Élisabeth, pauvre vieille fille écrasée, anéantie, stupidifiée par sa mère et qui nous paraissait à nous, si jeunes, déjà si vieille, nous faisait un clin d’œil et nous invitait à venir voir « La crèche » dans un cagibi, là près du couloir. Crèche dont elle était très fière, c’est elle qui l’avait faite. Donc, admirer. Les étrennes étaient médiocres (une pièce, une orange, ou un chocolat) mais on s’en foutait : qu’une hâte, partir !

    Aller chez Tante Germaine et Tonton Paul, c’était autre chose. Tonton Paul était un brave type, aimable, souriant, volontiers blagueur, ancien boulanger. Mais devait se taire. Vous connaissez les couples à la Dubout ? Ben voilà. Sauf la taille, Tonton Paul était aussi vaste que Tante Germaine. Mais pour le caractère, pareil. Pète sec. Pas aimable. Volontiers méprisante. Si un jour j’ai le courage, je vous raconterai l’humiliation que, moi gamin, j’ai vue mes parents subir devant cette Tante Germaine. Et pour compenser, je vous raconterai la fameuse blague des scieurs de long du Tonton Paul. L’ambiance était moins sinistre que chez la Tante Henriette, moins guindée, et y’avait un jardin. Enfin, une cour, et au milieu un palmier. J’allais m’y réfugier le plus longtemps possible. Je hais les palmiers.

    Aller chez Tonton Amédée et Tante ‘Tine, là c’était la détente. Non pas qu’ils fussent particulièrement attentionnés à nous autres les mômes, mais ils étaient aimants. Et ça, ça se sent. On s’ennuyait bien un peu, pendant que les adultes buvaient leur petit verre de Byrrh, mais c’était souriant, et, au début, quand ils habitaient encore dans leur grande maison, on avait le droit d’aller jouer. J’ai souvenance d’avoir ainsi jouer dans le couloir avec le magnifique hélicoptère dont les pales tournaient pour de vrai qu’ils venaient de m’offrir. J’ai souvenir aussi de l’album de BD qu’ils m’ont offert un jour, et qui a décidé de ma vie. mais bon là, ce serait trop long à vous dire. Une autre fois.

    Aller chez Cousin Marcel et Tante Eugénie, c’était le bonheur. Et pourtant Dieu que c’était exigu chez eux ! Deux pièces, point barre. Leur chambre qu’on devinait et la cuisine/salle à manger/salon petite mais où on tenait tous. Et je dis tous parce que souvent, c’était le soir, pour finir la tournée, et on y retrouvait tel ou tel cousin ou cousine éloignée. Et ça causait. Et ça riait. La Tante Eugénie n’était guère bavarde, se contentait d’écouter et d’approuver en souriant. Le Cousin Marcel, lui était un diseur. Et de la meilleure eau. Pas très instruit au départ, mais le genre autodidacte qu’a appris à la force du poignet. M’en a appris des choses ! Déjà les mots croisés, de concert avec mon grand-père. Le goût du Français et même de la grammaire. Le goût d’apprendre et de savoir. La curiosité, à jamais insatisfaite devant l’infini de ce qu’il y a à connaître. À chaque fois on causait tous les deux du « Jeu des cent mille francs » (je vous ai dit que c’était y’a longtemps) qu’il écoutait, religieusement, comme moi tous les midis sur Paris-Inter. En plus, ils avaient sur le buffet, une balance à poids. D’admirables poids de laiton doré tout luisants. Qu’est-ce que j’ai joué avec.


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 5 Janvier 2014 à 21:30

    Tout à fait ce que j'ai connu jadis ! je m'y revois ! Pas de dispenses, il fallait y passer.

    2
    BORDS DE MER
    Vendredi 24 Janvier 2014 à 13:55

    J'avais horreur ,de cette visite imposée chaque année ... le grand oncle  marinier  ,aux moustaches impressionnantes ,les grandes tantes avec des poils aux mentons et pour couronner le tout ,l'arrière grand 'mère alsacienne qui parlait alsacien et faisait mariner des hérissons  ...BEURK  et pas le moindre petit cadeau ,pour se faire aimer ,j'avais huit ans  !

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