• Braçva

    Y’a un type dont faut que je vous cause quand même. Pourrait être mon père. À un an près : l’est de 23, mon père de 22. Pas un père spirituel, faut pas déconner non plus, d’ailleurs l’aimerait pas, ni moi. Un « pousse au cul de la pensée » comme il dit lui-même, c’est mieux. Je l’ai rencontré, j’existais déjà, mais y’a eu un après c’est sûr. Je l’ai rencontré par la bande et ça lui plairait pas par où c’est passé, mais tant pis l’a tort. Je vous en parlerai une autre fois. Ce type c’est Cavanna.

    Je l’ai jamais croisé en vrai, enfin si mais de loin. J’étais à une terrasse de café, à Paris, sur je ne sais plus quel boulevard, avec une copine. La copine se penche et me dit « c’est pas Cavanna, là, qui passe ? » Je lève la tête, je regarde, c’était. Cavanna fendant la foule de ses grands compas, la foule qui devait s’abriter des moulinets féroces que ses bras faisaient pour accompagner ce qu’il racontait à je ne sais qui qui l’accompagnait et l’écoutait. Cavanna quoi. Rital, même là. Me suis pas levé pour aller demander un autographe ! Et pis quoi encore, d’ailleurs qu’est-ce que tu veux que j’en foute d’un autographe ? Tu crois que j’ai pas assez de bazar comme ça ? Y’a plein de types comme ça que j’aimerais, ou aurais aimé, croiser un jour. Pas pour avoir un gribouillis, non pour leur serrer la pogne et leur dire juste « Merci », et m’éclipser, vite. Y’en a plein dont je sais que ça arrivera jamais, sont morts ces cons. Et pour les survivants, suis pas bien sûr que l’occasion se présente.

    Je l’ai pas croisé, mais je lui ai écrit. Deux, trois fois. C’est pas ma gloire, plutôt l’inverse. Déjà une fois, je lui ai écrit pour lui dire que j’étais pas d’accord avec lui sur … enfin peu importe. Le pire c’est que depuis je sais, c’est lui qu’avait raison. Ben oui, moi aussi j’ai été un jeune con. Pas fier pour autant. Mais y’a pire. C’était l’époque où, isolé et même solitaire dans un meublé miteux d’une petite bourgade où j’enseignais, je me suis enfilé toute la collection des Hara-Kiri l’Hebdo d’un collègue. Toute. Longues soirées délicieuses que n’entrecoupaient que la lecture de l’Hebdo pour de vrai, devenu Charlie entre-temps. Et un jour, ou plutôt un soir, je lui ai écrit. 30 pages, oui Monsieur. De ma pénible écriture manuscrite. Plus grave, je l’ai posté ce pavé. Le malheureux !

    Y’a des choses comme ça dans ta vie dont t’es pas fier. Honteux, peut-être pas quoique, mais pas fier ça c’est sûr. J’ai osé emmerder Cavanna de 30 pages de ma prose. T’imagines ? Certains jours, je suis, allez disons serein, en forme, et je me dis : « l’est pas si con, rien qu’à la vue de, ça a fini dans la corbeille. » Heureux jours. Mais y’en a d’autres, moins sereins, cafardeux même parfois, où je me dis « l’a lu ». Pire, les semaines qu’ont suivi, y’a deux ou trois trucs dans ses articles qui me donnaient l’impression qu’en plus il en avait tenu compte. J’avais l’impression de retrouver, mieux dit, plus bref, trois mots et pas trente pages, de ces choses que j’avais osé lui envoyer. C’est ces jours-là que j’ai honte.

    Me rappellerai longtemps du Radioscopie de Jacques Chancel où l’invité c’était Bedos, Guy Bedos. À la fin de l’émission, le Chancel il annonce les prochaines émissions : « […] Et Mardi, Cavanna ». Y’a Bedos qu’a fait « Cavanna … !? » sur un ton d’effarement que jamais l’écrit ne pourra rendre. L’invraisemblable fait vrai. Chancel, visiblement, voyait pas le souci : l’invitait un auteur qui venait de publier (Les Ritals) quoi. Sans plus. Plus tard, il a compris, et lui et Bernard Pivot faut bien avouer qu’ils l’ont sacrément promotionné comme on dit maintenant. Mais sur le coup, y savait pas qui il invitait. Devinez où j’étais le Mardi soir suivant …

    Un jour, j’ai osé. C’était l’époque de la bourgade dont je parlais tout à l’heure. J’ai pris le train et j’ai z’été à Paris. Rue des Trois Portes. Hara-Kiri, quoi. Que si je l’avais croisé, j’aurais été comme un con, mais bon j’y suis allé. J’l’ai pas vu ! Me suis même trompé de porte : j’entre sous un porche, vois rien, et puis si soudain Choron. En vrai, comme que sur les photos : veste noire, polo rouge, fume-cigarette, tout. J’ose : « je cherche Hara-Kiri ». Lui, pas de souci : « Ben c’est là » et il ouvre la porte de côté. Puis là, jeune con je vous dis, je dis :
                « ça fait quelque chose !
                quoi ? il répond, étonné
                de vous voir en vrai !
                ah ça ! » et il passe.


    J’ai passé mon après-midi à errer dans la rédaction, à voir la table (LA table) où se tenait les séances de rédaction, à regarder le metteur en page préparer les photomontages du mensuel prochain. J’avais rien à dire, j’avais rien à faire, mais je pouvais pas partir. C’était un Mercredi, jour de parution de l’hebdo. Bien sûr, je l’avais lu, dans le train. La dernière page c’était Reiser (tiens encore un dont j’aurais bien serré la pogne). Imaginait une sorte de diesel fonctionnant au caca. « Si je comprends bien, Reiser vient d’inventer le moteur à merde ! »a dit Choron qui trainait encore par là. J’ai fini par repartir, à reculons, sans doute, mais bon, fallait rentrer, y’avait cours demain.

    Plus tard, j’ai cru comprendre (suis pas sûr) qu’en fait Cavanna vivait au fond de la cour, là après le porche où je m’étais engagé par erreur. Et quand bien même je l’aurais su, j’aurais fait quoi ? Hein ? Que dalle !

    Quelques années plus tard, je suis repassé rue des Trois Portes. Devant. Pour montrer à ma sœur. On repartait, on a croisé Wolinski. Là non plus on l’a pas agressé, pas notre genre. Ce qui m’a frappé c’est son regard. À la fois avide et inquiet. Y’a une autre fois où j’ai vu ce regard, c’était peut-être bien sur la même terrasse de café dont je vous parlais au début. C’était Jean Bouise qui passait (que ceux qui ne savent plus qui c’était, qu’ils crèvent !). L’avait ce regard : avide d’être reconnu, inquiet d’être abordé. Drôle d’effet.

    De Cavanna, j’ai pas tout lu, mais beaucoup. Dans l’Hebdo d’abord, dans le Mensuel ensuite. Tiens par exemple, Les Ritals, puis Les Ruskoffs, je les ai jamais achetés, mais je les ai dévorés, mois après mois dans le Mensuel. Enfin si, Les Ritals je les ai achetés. Pas pour les lire, pour les offrir à mon père, un jour de fête des Pères ou de Noël, je ne sais plus, pour lui dire que je l’aimais.


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