• Culture classique

    Ce qui va suivre pourra apparaître à plus d’un comme un exercice de « vieux croûtonnisme », mais j’assume : je suis un vieux croûton.

     

    Tout a commencé par une réponse à un mail d’un pote à qui je venais de donner un conseil de lecture et qui s’excusait « ça me fait plein de legenda  si tu me pardonnes ce latinisme ». Non seulement je lui pardonnai sans barguigner, mais j’en rajoutai : cette tournure me manque en français. Il renchérit en comparant « admiranda » avec « admirabilia », encore une nuance qui manque au français.

    Ah ! Peut-être dois-je traduire. « legenda » : neutre pluriel de l’adjectif verbal legendum signifiant « devant être lu »,  « admiranda » : devant être admirées puisqu’on vous le dit, « admirabilia » : dignes en soi d’être admirées. Voui, je sais, cuistrerie.

    Tiens une autre anecdote avec le même pote d'ailleurs. Un soir chez moi, on papote. Vient, allez savoir pourquoi, dans la conversation ce dialogue :
    Moi : « En fait hypothèse et supposition c'est le même mot sauf que le 1er utilise deux racines grecques et le 2nd deux racines latines. Mais elles ont le même sens. »
    Lui, acquiesce d'abord poliment de la tête puis doute : « Mais en latin c'est plutôt au-dessus qu'en dessous, non ? »
    Moi : « Non, c'est "sub-" pas "super-" et "poneo". »
    Lui : « Ah ! D'accord... »

    Me suis toujours dit que quelqu'un assistant à ce dialogue nous aurait pris pour deux dingues. Surtout que vous avez mis plus de temps à le lire qu'il ne dura en réalité.

    Je vais prendre trois exemples moins personnels (dont quand même un en latin je l’avoue) :

    Un jour, Jean-Pierre Chevènement a traité les loulous de banlieues de « sauvageons ». Scandale immédiat, je veux dire scandale médiatique ! Ben oui, mais n’oubliez jamais que, pour la plupart, les journalistes sont d’anciens cancres et qu’ils en sont fiers ( : « t’as vu où j’en suis arrivé alors que mes profs … »). Combien savent ce que signifie le mot « sauvageon » ? Peu, hélas. Un sauvageon c’est un arbre (un recru) qui n’a pas été greffé et qui donc ne donnera pas de fruits valables[1]. Si je traduis la pensée de Chevènement : « ces gamins ont été laissés en friche, on ne les a pas éduqués, voilà pourquoi ils n’ont d’autres issues que la rébellion. »

    Le même Chevènement eut un jour un accident opératoire : choc anaphylactique suite à une anesthésie pour une opération ni urgente, ni grave. Émoi. Normal. Coma, acharnement médical nettement plus long que pour le pékin ordinaire, mais il finit par s’en sortir. À son réveil son premier geste (et si je dis geste, c’est qu’encombré de tuyauteries diverses il ne pouvait causer) fut d’écrire « primum non nocere ». Alarme générale chez la gent médicale, infirmières et toubibs : il dérapait ! Son cerveau avait été atteint. Ben non. Il ne faisait que citer (en latin je vous l’accorde) un des éléments du serment d’Hippocrate : « Avoir, dans les maladies, deux choses en vue : être utile ou du moins ne pas nuire ». Ça date de, au moins, 410 avant JC, mais les médecins actuels qui, pourtant, ont prêté ce serment, ne le savaient pas.

    Encore un homme (pardon femme) politique de gauche : Georgina Dufoix. Un jour elle prononça cette phrase admirable : « Je suis responsable, mais pas coupable. ». Tollé général chez les victimes (sang contaminé) et les journaleux : quel aveu ! quelle lâcheté ! Alors que c’est tout l’inverse ! Mme Dufoix n’avait pas commis de « faute » (non coupable), elle avait (sottement peut-être) suivi les règles en vigueur, mais elle acceptait par avance d’en répondre (responsable) au vu du poste qu’elle occupait. Et ça c’est transformé, par l’ignorance du sens des mots, en une aggravation de son cas. Accepter de répondre d’un acte qu’on a accompli sans commettre de faute mais qui s’est révélé catastrophique, c’est pas une preuve de haute conscience ça ?

     

    Je devais avoir 13 ou 14 ans et j’étais dans le bus me ramenant du collège à chez moi. Pour me détendre, je lisais La foire aux cancres de Jean-Charles : rire des bêtises des autres est toujours efficace[2]. Sauf qu’il y avait un dernier chapitre, intitulé Haro sur le Latin. J’ai bondi, là, sur mon siège de bus, je m’en souviens : j’étais, au fond du bus, dans le sens inverse de la marche. Je vous la fais en bref : honte aux enseignants qui imposent le Latin à nos chères têtes blondes, déjà que ça sert à rien, en plus que ça les perturbe et que finalement c’est pour ça qu’ils sont si mauvais. Moi qui adorais le Latin. Pas dit que j’étais bon ! j’ai dit que j’aimais ça. Que, moi, je trouvais ça « utile » et formateur. Plus jamais lu de Jean-Charles, par contre j’ai continué le Latin et j’ai même préféré, à mon entrée en 2nde,  où je dus choisir, laisser tomber l’Allemand 2ème langue pour garder ledit Latin : l’Allemand, langue actuelle, je pourrais toujours l’apprendre en vrai si j’en avais, un jour, besoin. Pas le Latin. Mon regret : n’avoir pas fait de Grec !

     

    C’était le milieu des années 1960 et c’était le début de la casse de l’Éducation Nationale « à la française ». Même qu’avant on parlait d’ « Instruction publique », horreur ! C’était les débuts de ce qu’on appela le « collège unique ». Prétexte : démocratiser (tout le monde a droit au savoir), résultat (et j’en puis témoigner) : abaissement global des savoirs (sauf pour les privilégiés qui ont les moyens de se payer certains établissements).

    L’horreur c’est ce qu’on appelait à l’époque les « filières » : voie I, voie II et voie III. Oser trier les mômes dès l’entrée en 6ème, quelle honte ! Sauf que, mon tout premier poste (un remplacement impromptu, l’année précédant la suppression desdites filières), j’ai enseigné simultanément dans deux classes de 5ème : une voie I et une voie III. Devinez laquelle a le plus progressé pendant mon trimestre de remplaçant ? Ben oui, les « mauvais », la voie III. Je ne dis pas qu’ils ont atteint le niveau des autres ! Je dis : ils ont progressé ! Plus que les autres.

    Le défaut du système, j’en conviens volontiers, était la difficulté de changer de voie, même en cas de réussite spectaculaire. Lamentable, en effet. Mais ce prétendu triage permettait la progression ! Maintenant, le mélange (on appelle ça des classes hétérogènes, ça fait plus noble) l’empêche. Ça aussi j’en puis témoigner : j’ai vu de bons élèves régresser[3], sans que les moins bons progressent. Exaspérant et frustrant pour un enseignant qui croit en son métier. Il aurait suffi de faciliter les « passerelles » (comme on disait), mais ça aurait été trop simple (ou contraignant pour les enseignants, va savoir).

     

    Parce qu’il y a un truc qu’il faut savoir : certes ce sont les gouvernements successifs qui ont imposé ces réformes (Fontanet, Haby, …), mais pas dans le vide : avec le soutien actif et empressé du principal syndicat d’enseignants (dont je préfère taire le nom) ! Pire, ledit syndicat dont la base était avant tout instit’, a tout fait pour « primariser » le collège. Avant, quand on entrait au Collège (au moins dans les voies « nobles » I et II, on entrait en Secondaire, début d’un nouveau type d’apprentissage : apprendre à apprendre. Z’ont tout fait pour transformer ça en un Primaire Supérieur[4] à coup de : tu copies ta leçon, tu l’apprends ce soir (et pour l’apprendre c’est simple tu la recopies), demain on récite, « Oui, Monsieur mais pourquoi … - Élève Dupont, dehors, on n’interrompt pas le professeur », etc. Résultat quand vous, y croyant encore, vous vous mettiez à expliquer, disséquer, mettre en perspective, etc. les élèves vous regardaient d’un air entendu : « Chic, le v’là reparti sur sa marotte, on est peinards ! ».

     

    C’est de l’ordre de l’anecdote ou du dérisoire si ce n’était pas tragique, mais il faut que je vous raconte quelque chose. À la fin des années 70 et au début des années 80, lors des conférences pédagogiques (vous savez ces trucs qui privent les élèves de cours et qui sont censés mettre à niveau leurs profs) que croyez vous qu’on nous ait vanté comme modèle ? La R.D.A. ! Si, si je vous jure, la R.D.A pas la R.F.A., l’Allemagne de l’Est : son système scolaire était le meilleur du monde et on ferait bien de s’en inspirer. On a vu 10 ans et quelques plus tard les merveilleux résultats auxquels ce système avait abouti. Pas grave, la mode était passée et, à partir du milieu des années 90, on nous a vanté le système finlandais. (Légère perte de vitesse ces derniers temps, mais encore à l’honneur.).

     

    Je vous raconte une chose qui m’a, elle aussi, énormément choqué : sous prétexte d’alléger les programmes de nos chères têtes blondes, l’existence de la Mésopotamie a disparu des programmes d’Histoire (on a gardé l’Égypte, vieille tradition française, mais de justesse). Plus de Mésopotamie ! Quand on sait que c’est là que sont nés l’écriture, l’astronomie, le calcul, et plein d’autres trucs. Tiens un exemple : regarder votre montre, ou là en bas à droite de votre écran, et dites moi l’heure qu’il est. D’accord : 17h 22. Pourquoi 17 ? Pourquoi 22 ? Parce que Mésopotamie ! C’est eux qui ont inventé la division du jour en 12 heures (puis deux fois 12 heures). C’est eux qui ont inventé la division de l’heure en 60ème plus connus sous le nom de minute. Et j’en passe et on s’en sert encore. On leur doit des tonnes de trucs et on fait comme s’ils n’avaient pas existé ! (Autre exemple sur lequel je vous invite à méditer : l’influence des religions babyloniennes sur la religion juive et donc sur tout le monde judéo-christiano-islamique !). Il y a un spectacle que je n’ai jamais digéré, c’est en 2003 l’invasion par le GI américain de certains palais de Bagdad (oui : Irak = Mésopotamie), j’avais l’impression de voir les Barbares mettre Rome à sac. Insupportable.

    Vous allez me dire : « oui mais système décimal, métrique[5], tout ça, quand même mieux non ? » Ben non. Les mêmes (la Convention) qui ont institué le système métrique ont essayé d’en faire autant avec les jours et les angles. Ça a foiré, lamentablement mais pas par hasard. Une année comporte grosso modo 365 jours, soit pas loin de 12 fois 30, commode. En tout cas 365 c’est plus proche de 360 que de 400 ou de 300 ! Plus important : les angles. À part dans l’artillerie française, on n'a jamais adopté le système angulaire des « grades » qui divisait l’angle droit en 100. Pourquoi ? Parce que ça aurait obligé à refaire toutes (TOUTES !) les cartes marines et terrestres : un mile marin est la longueur d’une minute (voir supra) d’un arc (c'est-à-dire d’un angle) le long d’un méridien. Hyper-commode pour la navigation. Certes c’est aussi parce que, historiquement, à l’époque le Royaume-Uni dominait la marine mondiale (depuis peu d’ailleurs), mais même le plus franchouillard des commandants de navire n’avait pas envie d’abandonner ce bon système. Et je vous dis pas pour les calculs en astronomie !

     

    Tiens avant d’en terminer, un exercice de pure cuistrerie. Je suis presque sûr que vous ne l’avez même pas remarqué, mais dans le deuxième paragraphe de ce texte j’ai utilisé le « passé simple » : « je lui pardonnai  ., j’en rajoutai …, il renchérit … ». Pure coquetterie de ma part, je vous l’accorde, en Français actuel, j’aurais aussi bien pu écrire : « Je lui ai pardonné …, j’en ai rajouté …, il a renchéri … ». Le passé composé est tout aussi valide ici que le passé simple. Mais je l’ai fait exprès (et pourtant Dieu sait que je suis libre avec ma langue, le Français !). Un jour, de folie sans doute, j’ai expliqué à des élèves de 5ème que, pour prendre un exemple, « normalement » le passé simple « pardonnai » et l’imparfait « pardonnais » ne se prononçaient pas pareil an Français. Le 1er se dit ‘pardonné’ le second se dit ‘pardonè’. Les gamins m’ont regardé avec un air étonné mais néanmoins respectueux, mais ont cru que j’en rajoutais. Z’ont donc interrogé leur prof de Français sur la chose (une vieille copine qui plus est) dans l’heure qui a suivi. Ça l’a bien fait rigoler et leur a dit : « Oh vous savez M. R. c’est un vieux croûton ». Outre qu’elle avait raison (j’avais dit ça plus pour le fun que pour éduquer), ça  a rassuré les mômes. N’empêche : combien d’entre vous qui viennent de lire ça, le savait ?

     

    Pour conclure, je reviens à mon propos initial. Sous couvert de démocratisation, on a tout fait pour rendre le citoyen ignorant, et donc plus docile. Je ne plaide pas pour un retour aux « Humanités Classiques », je dis juste : laissez la possibilité aux mômes (tous les mômes, même les banlieusards ! allons-y carrément « même la racaille ! » (ou la caillera, j’admets aussi le verlan vielle technique linguistique)) d’avoir accès à un savoir complet au lieu de leur en interdire l’accès.

     

     


    [1] Sauvageon a aussi pris au sens figuré celui d’enfant rebelle, et alors il accepte le féminin sauvageonne, mais justement le problème n’est pas là !          [retour au texte]

    [2] En voici quelques unes : http://femmeaufoyer.dynamicforum.net/t34399-les-perles-de-jean-charles  , et ne venez pas me dire que vous n’avez pas souri au moins une fois !          [retour au texte]

    [3] Et régresser au point de parfois se décourager, plus ou moins définitivement.          [retour au texte]

    [4] Désolé, là je suis en train d’insulter le vrai « Primaire supérieur » qui existait autrefois.          [retour au texte]

    [5] Si un jour j’ai le courage, j’essaierai de vous expliquer comment fut défini le « mètre » et pourquoi.          [retour au texte]


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  • Commentaires

    1
    lulette Profil de lulette
    Jeudi 19 Juillet 2012 à 18:05

    Sous couvert de démocratisation, on a tout fait pour rendre le citoyen ignorant, et donc plus docile

    Oui, c'est trop souvent (de plus en plus souvent) mon sentiment de prof de collège ... Et l'année que j'ai passée dans un collège du Bronx à NY (2010-2011) m'a effarée, sachant que nous avons une fâcheuse tendance à reproduire pas mal de "trucs" américains après un délai de quelques années.

    J'aimerais développer, mais j'ai si peu de temps cet été pour blogguer en toute sérénité ...

    Bonjour!

    2
    Mardi 18 Décembre 2012 à 19:31

    Panem et circences.C'est toujours à la mode.Meme pour les enfants, les etudiants.Il ne faut pas trop leur en demander.On nivelle par le bas.Dès les petites classes. 

    J 'avoue que je n'ai pas tout compris quand tu t'es lancé dans les angles et tout ça.Pour le latin, j'en ai fait , j'ai été excellente , pas peur de le dire mais j'ai pratiquement tout perdu sauf ce que j'avais appris par coeur et j'ai pu verifier en suivant ma fille que j'avais encore des traces.Mais pas au point de me joindre à une de vos conversations , ton pote et toi! J'ai le sentiment d'etre parfaitement ignare....Comme je deteste cette sensation je suis allée un peu sur le Net et j'ai trouvé ça 

    Cela dit, j'ai forcé ma fille a faire du latin car je l'affirme avec toi, c'est formateur.Elle était  bonne (en seconde 15 de moyenne ) mais elle a abandonné à la fin de l'année....J'etais verte! et aujourd'hui, là, il y a quoi, 1 heure, en revenant d'un de ses partiels , elle m'a dit : Heureusement que j'ai fait du latin, parce que j'ai pu répondre comme il faut en syntaxe (d'Anglais)., ça m'a aidée.Tout comme elle me l'avait dit pour apprendre l'Allemand...

    Bon, j'ai compris tes" legenda" plus joli que les PAL (Piles de Livres à Lire) mais personne ne comprendrait......Nivellement...je reprends donc ,à partir de maintenant et si tu le permets, ce terme au lieu de PAL.

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