• Il faut d’abord que je précise que je suis athée. Athée à un degré qui confine à l’absolu, s’il n’y avait pas là comme une tentation de paradoxe. Imaginer un seul instant que je ne sois autre chose qu’un embrouillamini de matière et de molécules diverses, certes astucieusement agencées, à tel point que j’en admire constamment les possibilités, imaginer donc qu’il soit, par là, en moi, quelque part, quelque principe qui me survive, ou, version intello, que je participe un tant soit peu à une quelconque transcendance, me paraît d’un ridicule achevé.

    Et pourtant de temps à autres je ressens comme un vertige, j’ai l’impression d’avoir déjà vécu cela, et je ne parle pas d’hier ou d’avant-hier, mais de cinq cents, mille ou deux mille ans.

    Tout petit, dans une famille qui n’en avait cure, j’ai vibré à la musique bretonne, celtique comme on dit maintenant. Et quand je dis « vibré » je ne plaisante pas, j’ai un souvenir, je devais avoir dans les huit ans, d’un groupe de bagads sonnant vers moi, j’y ai frôlé l’orgasme.

    Plus tard, adolescent attardé, j’ai ressenti comme une communion avec le judaïsme, au point d’en tromper de vrais juifs ou leur famille : « Il ne serait pas de la religion de mon mari votre ami ? » demanda un jour quelqu’un à ma future femme. J’en fus moi-même tellement perplexe que j’osais poser la question à ma mère : « On n’a pas une ascendance juive, même lointaine ? » Imaginez ! Poser ce genre de question à quelqu’un de profondément raciste. L’évidence du déni s’imposa.

    Quand je vais à Rome, et que je monte la Via Sacra, je me retrouve. Quand je piétine ces vieilles dalles, quand je gravis cette pente vers le Palatin, j’ai comme une impression de familiarité, de revenir, enfin, là où j’étais.

    Certes pour tous ces cas, j’ai des explications « rationnelles », le malheur c’est que ces explications s’appliqueraient fort bien à des lieux, des rites ou des musiques qui ne me touchent pas plus que ça.

    Je n’ai encore jamais été en Égypte et je suis de moins en moins sûr d’y aller jamais. Peut-être est-ce aussi bien : serais-je capable d’en revenir ?


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