• Mimétique (suite).

    Je vais ici tenter d’anticiper d’éventuels commentaires d’un lecteur incrédule de mon précédent texte[1], en essayant de répondre à au moins deux questions.

     

    Première question : En quoi cette querelle villageoise est-elle une « crise mimétique » ?

    D’abord, le déclencheur est mimétique. C’est parce que Marcel s’approprie quelque surface du jardin de René que celui-ci désire y faire quelque chose. Avant, même s’il y a songé, c’est resté à l’état de velléité, maintenant ça devient impérieux.

    Ensuite, quand René en parle à Albert, ce dernier « mime » le comportement de René. Lui aussi à quelque chose à envier à Marcel : ses arbres ou le soleil qu’ils occultent, peu importe. Et c’est parce que René lui donne de l’enviabilité que la sienne se (re-)déclenche.

    Quand Albert essaye de rallier Victor à la cause, le mimétisme s’inverse : c’est Victor qui montre à Albert que le jardin de René est à revoir [et ici, j’aimerais que la forme latine de l’adjectif verbal, existe en français : le jardin de René est *cultivandum, devant être cultivé, ce qu’il n’est pas].

    Ce moment est important dans l’aspect « critique » : il montre que peu importe en réalité l’objet du désir, ce qui compte c’est que l’un montre à l’autre ce qui est désirable. Et une fois la mécanique désirante lancée, elle roule toute seule.

    Germaine, chez la bouchère, déclenche elle aussi les deux formes de mimétisme. La bouchère a aussi quelque chose à envier de Marcel : sa clientèle. Mélanie, elle,elle mime en – réactivant par là une vieille amitié – approuvant son désir potager.

    Etc.

    Ce etc. est important car il est exponentiel. Chacun des personnages va en contaminer deux ou trois autres qui, à leur tour, vont … Et, à chaque fois, on risque l’ambivalence. Déjà Albert s’est « rangé » successivement des deux côtés, et il est probable qu’au bout de très peu de temps, la plupart des gens ne seront plus que désir ou envie sans qu’importe l’objet désiré. Ils pourraient même, selon les moments, désirer des choses contradictoires. Seule importe, désormais, une folie désirante qui s’est emparée de tous.

    Ou presque. J’ai dit que dans de rares cas, une autorité quelconque pouvait s’interposer, dans ce cas le curé. C’est possible, mais rien n’est moins sûr, car lui-même peut très bien être entraîné dans le tourbillon : après tout le Marcel est un  mécréant qu’on ne voit jamais à l’église, et René un ivrogne qui donne fort peu à la quête. (Et le maire, l’instituteur ou le gendarme local seraient tout aussi faillibles).

    J’ai dit aussi que, plus fréquemment, les choses se calmaient toutes seules. Mais en apparence seulement ! Car, même si quelque incident vient détourner l’attention générale sur un autre sujet, l’excitation ne sera que refoulée, enfouie quelque part, prête à ressurgir à la prochaine occasion, rendant la crise suivante encore plus véhémente.

     

    Deuxième question : Comment se peut-il qu’une telle crise débouche sur un lynchage ?

    D’abord, ce n’est pas toujours le cas. Souvent sans doute elle n’aura débouché que sur un affrontement général. Mais ça, ça ne laisse que peu de traces : le village disparaît ou périclite (ou le groupe, ou la tribu, ou etc.)

    Par contre, puisque l’objet du désir, de la haine ou de l’envie est devenu indifférent, il arrive facilement qu’il se coagule, en quelque sorte, sur une vieille inimitié ou une vieille méfiance, latente chez tous. J’ai parlé pour le village d’un gitan, cas classique (voire actuel !). Ailleurs le juif, le parisien, le petit nouveau. Dans tous les cas, un personnage un peu à part. Le grec ancien a un mot pour cela : « pharmakos ».

    Si, une telle coagulation survient, même partielle au départ, elle va s’étendre à tout le groupe, mimétiquement justement. Et un éventuel raisonnable n’aura aucune influence sur la foule [revoyez vos vieux westerns]. Le lynchage en question peut-être « symbolique » (le stagiaire lourdé), mais il est arrivé maintes fois qu’il s’avère définitif : on tue la victime, et souvent violemment dans un déchainement de coups et de vociférations.

    Climax. Puis retombée. Et c’est là qu’apparaît le rôle ambigu de la dite victime : cause (virtuelle) de tous les maux, mais cause aussi, par sa disparition, de l’apaisement général. De là à en faire un dieu, il n’y a qu’un pas : inapprochable car dangereux, mais, si on le « traite » bien, bénéfique au bout du compte.

    Girard signale que les sociétés antiques, conscientes, au moins vaguement, de la chose, se sont appliquées à rejouer la scène : ce fut le sacrifice (humain ou animal par substitution) dans l’espoir d’apaiser les tensions, les crises et les catastrophes. [À nouveau : lisez le !]

    Mais il n’y a pas que dans les sociétés antiques que cela se produit (ou tente de se produire). Je ne vais prendre qu’un exemple : pourquoi croyez-vous que j’ai appelé mont trader M. K. ? Parce que Kerviel.

    Devenons darwiniens. Les groupes humains qui n’ont pas résolu de telles crises par un tel lynchage, ont disparu sans trop laisser de descendance : impasse évolutive. Par contre, les autres ont continué et même prospéré. Et c’est nous.

     


    [1] voir Mimétique.          [retour au texte]


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  • Commentaires

    1
    Lundi 20 Mai 2013 à 08:29

    A tres bientôt et bonne semaine de Pentecôte,Jean-Pierre

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