• Momo.

    Momo, c’est pour Mohamed. J’ai un problème : dès qu’un prénom atteint ou dépasse trois syllabes, il m’exaspère. Alors j’abrège ou je surnomme. Oh certes, j’ai prononcé des Olivier, des Jean-François ou des Abdallah, mais toujours à regret et avec réticence. Donc Momo, ou Mohamed si vous y tenez. D’ailleurs lui ça le gênait pas, le faisait plutôt sourire. Un vrai sale gosse pourtant. Le type de l’élève qu’on aimerait éviter : pas con, loin de là, mais chiant comme c’est pas permis. Foutant sa zone à la moindre occase. Avec délectation. Non seulement pas travailleur, mais volontiers saboteur. Ridiculisant le travail des consciencieux. S’offrant, quand ça lui prenait, le luxe d’être pertinent sans avoir rien suivi du (ou des) cours précédents. Comme ça, pour le fun. Et à côté, t’avais les laborieux qu’entravaient rien. Le chieur je vous dis. N’hésitait pas non plus à foutre le boxon si l’envie lui en venait. Punir ? Ah, ah ! N’en avait rien à cirer comme tout vrai déconneur. Et puis d’ailleurs, quelle punition ?

    C’est vrai vous savez pas : on n’a plus le droit de punir ! Enfin pas pour de vrai. Y’a des textes, officiels, ministériels qui interdisent. Consigne : « une punition doit être éducative ! É-du-ca-ti-ve ! » Le genre de phrase qui est soit tautologique, soit absurde. Z’ont choisi le côté absurde. Donc, si vous dites à un élève « tu me copieras 10 fois ‘je ne dois pas parler en classe’ », vous vous faites tapez sur les doigts au mieux, ou, plus probablement, un sous-directeur quelconque lèvera la punition : pas éducatif, et, pire, répétitif, donc humiliant. « Vous aviez qu’à lui donner un exercice de math supplémentaire à faire ! ». Ou de grammaire, ça dépend de votre spécialité. Tu connais un meilleur moyen de convaincre l’élève que le travail c’est une punition, toi ? Déjà qu’il en était à moitié persuadé. Enfin bon, c’est pas de ça que je voulais vous causer.

    Momo, donc, m’a pourri la vie pendant un an ou deux, malgré quelques accalmies. Puis je ne l’ai plus eu. Alors z’ont réussi à le virer. Y’a des profs moins patients que moi que voulez-vous. Supportent pas. Parfois même, z’ont peur. Des élèves je veux dire. Les redoutent. Alors, comme on peut pas punir, on vire. Tout bénef’ : ça fera un échec de moins à l’examen final. Statistique que ne ferait-on  pas en ton nom ! L’ont donc viré, je ne sais où, dans une structure parallèle, médico-éducative sans doute.

    Un an ou deux plus tard, un soir, je sortais du collège allant vers ma voiture sur le parking, qui je croise ? Momo ! Revenait voir son vieux collège. Heureux de me voir qu’il était ! « Oh Monsieur … ça fait plaisir ! – Qu’est-ce que tu deviens ? – etc. etc. »

    Y’a un film que j’ai vu une fois et que je m’astreins depuis à ne jamais revoir. Pourtant j’ai le DVD, pourtant il est régulièrement rediffusé à la télé. À chaque fois je m’abstiens, quitte à regarder un truc de merde. Ce film c’est « Vol au-dessus d’un nid de coucou ». Je supporte pas. La fin. Ce qu’ils font à Nicholson. Je tolère pas.

    Z’avaient fait pareil à Momo. Enfin en « moderne » : l’avaient pas lobotomisé, l’avaient haldopérisé. Z’en avaient fait un mouton, un mignon, un gentil, un doux, un bien sage.


    Tu peux pas avoir à quel point j’ai eu envie de dégueuler ce soir-là.


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