• Paris 1

    J’ai pas mal écrit sur Rome et pourtant il y a une ville que j’ai bien plus visitée et dont je n’ai pas encore parlé, c’est Paris. Et je l’aime aussi cette ville. Alors pourquoi ? Peut-être parce que ça fait plus longtemps que. Peut-être parce que c’est moins exotique. Peut-être parce que les souvenirs y sont plus mêlés. Ou peut-être, tout bêtement, parce ça m’est plus ordinaire, normal. Alors je vais commencer aujourd’hui, et je vais commencer par le pire, histoire sans doute de m’en débarrasser et de déblayer le chemin aux autres souvenirs.

    J’avais vingt ans, donc, disons, il y a quarante ans. J’étais, seul, à Paris pour la deux ou troisième fois. Le prétexte était toujours le même : les examens. Parfois d’ailleurs, je me passais de prétexte, après tout passer huit jours à Paris n’a rien de répréhensible en soi. Et puis d’ailleurs mon père était lui-même si amoureux de cette ville, et même natif de, qu’il ne voyait pas de mal à ça, au contraire. D’ailleurs cette fois-là, je ne logeais pas n’importe où. Je logeais à l’hôtel Astor du côté des Ternes, l’hôtel familial. À deux titres : mon père est né tout près de là, rue de Lévis, et, quand en famille nous y allions, c’était à cet hôtel que nous descendions. Pour vous dire, une fois, quelques années plus tard, y logeant à nouveau, et de fait pour la dernière fois, j’y ai amené une copine en perdition. Notez bien : pas dans ma chambre ! Deux étages d’écart. Ça n’a pas empêché le regard suspicieux et vaguement réprobateur de la gérante de l’hôtel. Familial, je vous dis. Y’avait des avantages, dont l’un : dans la rue un cinéma de quartier. C’est là que j’ai vu en vrai mes premiers Charlot sur grand écran. Qu’est-ce que j’ai ri !

    Donc j’étais là, vingt ans, après ma première année de Licence à la fac, et un matin je reçois un coup de fil. Ma mère. Précautions d’usage puis « T’as un copain, Patrick Ch. qui vient de mourir dans un accident de voiture. C’est Rolande qui m’a téléphonée pour te prévenir. » Faut vous dire d’abord que Rolande c’est pas n’importe qui. C’était mon amour. J’étais dingue de. Oui, mais pas doué. Pas su lui dire. L’avait pourtant compris la vache, l’a essayé de me le faire entendre une fois que elle non plus était pas indifférente. Tellement timide, tellement pas sûr de moi, que j’ai pas compris. Enfin si, mais dix ans plus tard. Trop tard. Donc entre temps, elle avait pris quelqu’un d’autre : salaud de Didier P. ! Pour vous dire que si Rolande avait pris sur elle de téléphoner à ma mère, c’est que c’était sérieux. Alors je l’ai rappelée.

    Là, j’étais dans ma chambre, entre la porte et le lit, le téléphone à l’oreille et j’apprenais : « Oui, ils ont eu un accident, sur une route, en Vendée, leur voiture s’est encastrée sous un poids lourd, tous morts. – Tous ? – Tous. » Z’étaient six. Six potes dont certain(e)s  plus que potes. « Michèle aussi ? – Oui. – Même la petite Roxane ! ? – Oui » Tous. Z’étaient tous morts que j’avais vus peut-être dix jours plus tôt. Et puis Michèle. Après Rolande, c’était elle qui. Morte. M’avait déçu, la Michèle pendant l’année de Licence, s’était mise à prendre un genre, à se maquiller outrageux, mais moi ce que je gardais, et que je garde encore aujourd’hui quarante ans après, c’était ses cheveux longs et frisés. Me souviens de ces jours, l’année d’avant, en Math Spé, où, à la fin de la pause de midi, au moment de la reprise des cours, le prof entrait, nous regardait et disait « Si R. [moi] veut bien laisser sa cour regagner ses places, on pourra commencer ». Elle était dans la dite cour la Michèle, buvait mes paroles, elle aussi. Morte.

    J’ai dû finir par raccrocher, c’est sûr, puisqu’après je suis sorti. Décision à la con, mais décision ferme, me suis offert un grand restau du côté de l’Étoile, pour compenser. Grand et bon repas. Fin. Puis suis rentré dans ma chambre de l’hôtel et là, j’ai dégueulé et dégueulé et dégueulé.

    Deux jours plus tard, le soir, j’ai été dîner chez ma cousine et son mec qu’habitaient en banlieue. Z’étaient au courant, d’ailleurs lui rentrait justement de Nantes, ma ville. On a parlé, choses et d’autres, divers et tout. La cousine m’a proposé d’économiser le train pour rentrer, qu’ils pouvaient m’emmener en voiture avec eux, puisqu’eux y allaient aussi. Pouvais pas : en voiture ? non mais … Et son mec qu’a ajouté « D’autant que c’était une VW comme nous qu’ils avaient. » Il avait vu les photos de la presse lui en plus.

    Depuis, je hais les Coccinelles et il m’a fallu plus de deux ans pour me décider à apprendre à conduire.


    (à suivre)



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