• Pédagogie différenciée - épisode 1

    Remarques préliminaires :

    J’avais l’intention de n’écrire et, surtout, de ne publier ces textes qu’une fois que ma situation administrative (et, par le fait, financière) serait stabilisée. Vous comprendrez sans doute pourquoi en lisant la suite. Certains d’entre vous en connaissent d’ailleurs déjà des épisodes. Mais je commence à tellement bouillir que je n’y tiens plus. Alors, tant pis, je publie : « Et merde pour le Roi d’Angleterre qui nous a déclaré la guerre … ».

    Comme tout le temps, ou presque, dans les textes de ce blog, tous les noms et prénoms que je donne sont « pour de faux ». Simple mesure de courtoisie. Mais les faits que j’y décris sont vrais.

    J’ai, vous le savez, été prof’ de math en collège. Dont 30 ans dans le même collège. Volontairement 30 ans : on m’a souvent suggéré la mutation, pour un autre collège « plus facile » (je travaillais en ce qui devint ZEP), ou pour un lycée « plus adapté à mes méthodes ». Ni l’une ni l’autre de ces solutions ne m’a jamais tenté : si j’avais eu une envie de mutation, ça aurait été de devenir instit’ ! Malgré la décote salariale et la surcote horaire. C’est la formation initiale que je trouve passionnante, pas sa suite : j’ai durant des années postulé pour enseigner en 6ème au grand soulagement des collègues que la 3ème tentait.

    Pendant ces 30 ans, j’ai côtoyé 4 principaux : une sévère mais juste et compétente (profond respect malgré le nombre d’engueulades que j’eus avec elle dans son bureau !), un incompétent absolu qui n’était là que pour attendre sa retraite prochaine, un type génial mais parfois fantasque et, pour finir, un abruti grave. Je vous parlerais peut-être un jour des autres, en particulier du 3ème et de la 1ère, mais aujourd’hui c’est du dernier qu’il va être question. Je vais l’appeler M. Brun.

    Il a été nommé dans mon collège au moment même où, relevant de longue maladie (fracture d’épaule + algodystrophie), je revenais moi-même à mi-temps thérapeutique pour 6 mois. Je crois que ça a joué : la plupart des mi-temps thérapeutiques dans l’Éduc. Nat. sont dus à des raisons psys, je crains, qu’au moins au début, ça l’ait égaré sur mon compte : il fallait me surveiller, je devais être fragile.

    Il se trouve que la salle de classe où j’officiais, possédait une vitre donnant sur le couloir. (Éclairage « naturel » du couloir, oui, je sais, demandez à l’architecte). Pour des raisons de sécurité anti-incendie, tout rideau est interdit dans une salle de classe. Cette vitre fut pour M. Brun une aubaine : régulièrement il observait ce qui se passait dans mon cours. Parfois je le voyais, mais, la plupart du temps, m’occupant plutôt des élèves que de l’extérieur, je ne m’en apercevais pas. (C’est un collègue ami qui m’a dit un jour à quel point c’était fréquent !) De toutes façons, ça n’aurait rien changé : je n’avais rien à cacher ! C’est pourtant de là qu’est né, dès les tous premiers mois, notre premier conflit.

    C’était en 5ème, j’avais un élève – appelons le Valentin – excellent. La classe n’était pas catastrophique, mais il dominait nettement. Vous savez (ou pas) : les classes hétérogènes. Sa moyenne en maths à la fin du 1er  trimestre était de 19 sur 20, celle de la classe de 13 sur 20.  (On est loin de la perdition). Une de mes formes de cours était la suivante : j’expose pendant une petite dizaine de minutes telle nouvelle technique, ou tel nouveau concept, puis je donne aux élèves une batterie d’exercices gradués pour asseoir et expérimenter la chose. Un élève moyen termine la série en une (grosse) demi-heure, l’élève faible a besoin d’aide et, malgré ça, n’a pas fini à la fin de l’heure. (C’est parfait : « Tiens, tu me fais ces deux exos pour demain, et on en reparle », et ils les font !). Valentin, lui, avait fini les exos en 10 minutes, après il s’emmerdait. Bien sûr, il m’avait fait signe et j’étais venu vérifier : à part une erreur bénigne de temps à autres (« non, là regarde ça colle pas, recommence ») je ne pouvais que constater qu’il « avait bon ». La technique officielle dans ces cas-là, est de donner un ou des exercices plus « trapus » pour voir si. Ce que je fis bien sûr, à l’occasion. Mais cette technique a plusieurs limites : d’abord le concept étudié ne s’y prête pas toujours, ou alors de manière acrobatique : invention de difficultés idiotes là où il n’y en a pas vraiment. Ensuite, faire « avancer » l’élève d’un cran, ne résout pas le problème, il l’aggrave : au cours suivant, il se retrouvera encore plus désœuvré ! Enfin, et, à mon sens, c’est la principale limite, récompenser un « bon » élève en lui donnant du travail supplémentaire est une forme de sadisme dont il faudrait se méfier, et, a minima, ne pas abuser ! Donc, Valentin et moi, on avait fait un deal : je validais, à sa demande, ses réponses et il avait le droit de faire autre chose, ce qui me laissait le temps d’aller derrière l’épaule de quelque autre qui, lui, avait besoin d’aide. Faire autre chose : le réflexe de Valentin ne fut pas de sortir une PlayStation ou un lecteur mp3, son réflexe, ce fut de sortir le livre dont son prof’ de Français avait recommandé la lecture ! Voir en ZEP, un élève demander la permission de lire m’est apparu comme une sorte de bénédiction ! Je lui accordai.

    Ouais, mais M. Brun regardait par la vitre ! Et, un jour, il vit un élève qui, au lieu de « faire des maths », lisait. Scandale ! Un réflexe intelligent de sa part aurait été de m’en toucher un mot, il s’en dispensa. Un jour, sans me prévenir, il chopa Valentin dans le couloir après la sortie du cours, l’engueula et le punit pour « non travail ». Je ne l’appris que 24 à 48 h plus tard, trop tard. Je râlais, expliquais, mais c’était trop tard : Valentin, élève respectueux de l’autorité, avait, sans barguigner, admis sa « faute » et accepté d’être puni. Et donc, après, il ne lisait plus, il faisait mine de « travailler ». Succès !

    Quand je me suis engueulé avec M. Brun (dans son bureau, pas devant les élèves : mon rôle n’est pas de détruire l’autorité), la raison principale qu’il invoqua fut : «  Si vous permettez à un élève de ne pas travailler, c’est un mauvais exemple pour les autres qui se diront qu’après tout eux aussi … ». Belle erreur d’analyse ! Les autres élèves étaient parfaitement au courant du deal entre Valentin et moi, et il y avait deux cas : certains (rares : 2 ou 3) essayaient de faire aussi vite que lui pour avoir les mêmes droits (ça s’appelle l’émulation en langage technique), les autres (majoritaires) le regardaient avec admiration et envie et, simultanément, étaient ravis que ça me donne le temps de m’occuper d’eux (ça s’appelle l’exemplarité en langage technique). Fin du cas Valentin qui termina l’année avec une moyenne de 18 sur 20 en maths. S’était pas découragé.

    Je vais maintenant vous parler d’un autre cas : Wilfried. Cas, pour ainsi dire, symétrique du précédent. Là on est en 4ème et Wilfried ne sait pas écrire. Ne me demandez pas comment un élève qui ne sait pas écrire, a pu arriver en 4ème, demandez le plutôt aux divers ministres de l’EN qui se sont succédés, ou plutôt, demandez le à leurs « conseillers » qui, eux, sont restés en place. (Un nom, pas par hasard et un vrai cette fois : Philippe Meirieu. Crapule absolue, fossoyeur de l’Éducation Nationale et donc, en quelque sorte, de l’avenir de la France. À mon sens il relève de la Haute Cour de Justice pour trahison, quoi.)

    Premier épisode : comment j’ai découvert que Wilfried ne savait pas écrire. (Enfin, j’exagère, il y arrive, difficilement, en capitales d’imprimerie). Wilfried n’est pas un sot. Il est plutôt du genre remuant, mais par désœuvrement pas par vilénie, et, quand je raconte quelque chose au tableau, il écoute. Mieux, il suit, mieux encore, il comprend. Et, si je pose une question, après avoir quand même attendu qu’un éventuel « bon élève » réponde, ce que ce fainéant ne fait pas, Wilfried répond. Et répond juste, pertinent. Dans mon rôle, au bout de 2 ou 3 réponses de ce type, je lui tends le feutre et lui dit : « Viens au tableau montrer aux autres … ». Lui, emporté par l’enthousiasme de la compréhension, se précipite, prend le feutre, s’apprête à, … et, là, soudain, s’arrête : il ne sait pas comment écrire ce qu’il a dans la tête !

    Je te jure que ça c’est des instants de ta vie que t’oublieras jamais jusqu’à ton lit de mort. Je revois la tête de Wilfried, prêt à, incapable de, horrifié, meurtri, désemparé. Il te faut alors un sens de l’improvisation qui confine à l’absolu. Faire croire au reste de la classe que c’est Wilfried qui écrit, écrire moi sous sa dictée (type de prétexte : il est trop petit et il faut écrire haut pour que tous voient !) et finir par le renvoyer vers sa place avec félicitations. Montrer à tous que c’est pas un con, et ne pas l’humilier en montrant son incapacité. Sauf que désormais, JE savais que Wilfried ne savait pas écrire. En tenir compte.

    Deuxième épisode. Je vous ai parlé tout à l’heure d’une de mes formes de cours, en voici une autre. Une fois qu’une notion a été mise en évidence et à peu près maîtrisée, je la fais se perfectionner. Pour cela, en particulier, et c’est le cas ici, en Géométrie, je distribue une fiche ainsi composée : en haut de première page une figure, la plupart du temps fausse mais bien « cotée », c'est-à-dire que les informations qu’elle contient sont vraies. Un texte (bref) suit qui reprend ces infos et, éventuellement, quelques autres. Puis s’enchaînent une série de questions séparées par des lignes de pointillés. La manip’ c’est résoudre les questions une à une, s’en servir pour compléter le cotage de la figure et passer à la question suivante qui est, de ce fait, devenue résoluble. (Souvent le travail pour le lendemain sera : faire la vraie figure, maintenant qu’on sait !). Ce jour-là, Wilfried suivait, à la fin de l’heure sa figure était entièrement remplie des bonnes informations. Sauf que moi mon rôle ne s’arrête pas là : à chaque question je fais rédiger la réponse argumentée. Oralement d’abord par dialogue avec les élèves, puis par écrit où, ayant fait la synthèse au tableau, je charge les élèves d’écrire sur les pointillés la « démonstration ». Et ça, Wilfried s’en abstînt, à un ou deux mots près. Mais M. Brun veillait (oui, la vitre). À la sortie du cours, mais cette fois devant moi, il chopa le gamin et commença à l’engueuler pour « n’avoir rien écrit » et donc « rien fait » pendant le cours. Cette fois, témoin, j’ai pu m’interposer et interdire que Wilfried fut puni. M. Brun maugréa mais n’osa pas me déjuger (cette fois-là) devant les élèves. Ouf pour Wilfried ! Comment vouliez-vous qu’il écrive une démonstration de sept à dix lignes, sans savoir écrire ? Mais il avait tout écouté, tout suivi, tout compris, parfois même répondu pertinemment ! Alors ?

    (suite au prochain numéro)


  • Commentaires

    1
    lulette Profil de lulette
    Vendredi 9 Novembre 2012 à 17:28

    Alors?

    Alors ... les boules ...

    Oui, commentaire peu constructif, je sais, mais je ne suis pas très en forme, et je pense que tu comprends mon "les boules". Sourire triste, sans oublier de saluer tes différentes démarches pédagogiques, déjà.

    (Pour les bons élèves finissant longtemps avant d'autres, j'ai plusieurs démarches, ça dépend de la classe, du gamin, du sujet abordé : certains se mettent à aider les autres et circulent en classe, comme moi ; parfois je les laisse en effet lire - je vais d'ailleurs installer une bibliothèque en anglais dans ma salle bientôt)

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    2
    Vendredi 9 Novembre 2012 à 17:45

    Ben vi, mais tu es dans une discipline "littéraire", ça aide pour la bibliothèque.
    Encore que, semblablement, il m'est arrivé de donner accès (quand je pouvais) par exemple à l'ordi de la salle pour que le môme y travaille.
    Ou, autrefois, leur faire faire tel ou tel dessin géométrique pour le fun. (J'insiste sur dessin, pas figure à la con !)
    Dans le genre, il m'est même arrivé de leur faire construire un "poisson" certains 1er Avril (à toute la classe, là).

    Pour l'élève qui va aider les copains, ça m'est arrivé moult fois ! "M'sieur je peux aller aider Machin, j'ai fini ?" Ben oui, après avoir vérifié la correction du travail accompli.
    D'ailleurs bien souvent, ça se passe sans déplacement : de voisin à voisin !
    Ce qui, tu imagines, vu depuis l'extérieur donne : "Dans les cours de M. R... les élèves sont toujours en train de bavarder au lieu de travailler." !!!

     

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