• Réflexion sur la « crise ». (3) : L’importance de la monnaie.

    Qu’est-ce que la monnaie ?

    J’ai annoncé précédemment que j’allais essayer d’expliquer ce qui faisait la valeur de la monnaie, et, par là, d’expliquer pourquoi elle n’était pas neutre. J’en suis désolé mais pour bien me faire comprendre il faut que je fasse un détour historique. Ce n’est pas de ma faute : les fondateurs des théories actuelles ont bâti leur théorie sur une fiction historique, il est important de la démonter. Je vais donc essayer de vous dire ce qui existe avant l’invention de la monnaie. Parce que la monnaie n’a pas toujours existé. Comprendre ce qu’a été l’économie pré-monétaire, permettra de mieux comprendre ce que la monnaie a ensuite permis. Comme mon propos n’est pas d’être exhaustif ni parfait historien, je vais schématiser et simplifier, mais ce que je vais vous raconter est fondé sur le vrai. Même si je vais conter.

    Commençons très loin, préhistoire, même s’il existe encore ça et là des groupes humains de ce genre : les chasseurs-cueilleurs ou, comme on dit plutôt maintenant les chasseurs-collecteurs. Dans ce type de groupes, il n’y a pas d’échanges, il y a partage. Ce qui ne veut pas dire partage équitable ! Pensez à une horde de lions[1] : les sœurs lionnes font tout le boulot pour attraper l’antilope maladroite, puis Monsieur lion s’offre la plus grosse part, laisse les rogatons aux femelles et les os à lécher aux petiots. Peu ou prou, la « horde » humaine initiale fonctionne ainsi. Des chasseurs chassent et apportent (ou pas) de quoi bouffer. Le chef, le chaman ou l’ancien (je ne sais, peu importe) a droit aux bons morceaux, puis c’est machin, puis c’est machine, etc. Ce qui est cueilli est plus « égalitaire » : on avale ce qu’on prélève même si, parfois, maman en donne à bébé en cours de sevrage, ou si monsieur, soucieux de plaire, offre une belle grenade à la jolie femelle qu’il espère se payer [le plus vieux métier du monde, on vous dit !] Ce qui est important ici c’est que le concept de « propriété privée » n’a aucune existence, tout est à tout le monde. Communisme primitif osent dire certains, mais il y en a de plus égaux que d’autres.

    Avançons dans le temps, néolithique ou presque. Les hommes ont appris deux choses : jardiner, domestiquer. Jardiner ça veut dire défricher tous les ans quelques ares de forêt, y planter quelques patates douces, entretenir puis récolter. Domestiquer ça veut dire plutôt que de courir bêtement après le bestiau récalcitrant, en capturer quelque jeune, l’enclore (progrès technologique), l’engraisser et, quand il est à point, le zigouiller et faire ripaille. Les hommes vivent en groupes (tribus, ethnies, …) organisés en clans et en familles. Chaque clan ou famille possède son jardin et ses animaux, s’en occupe et les consomme. Dans chaque clan ou famille, il y a division du travail, par exemple aux hommes le défrichage, aux femmes le jardinage, mais la consommation est collective. La propriété est un peu plus privée que dans l’exemple précédent, mais pas totale : ce ne sont pas les individus qui possèdent. Il y a des échanges, limités, entre clans par exemple à l’occasion d’un mariage ou de telle autre cérémonie. Il commence même à y avoir des échanges « internationaux » si l’on peut dire. Tiens je vais vous inventer un exemple (fiction basée sur des choses réelles[2]) :

    Soit deux tribus les Babas et les Hohos. Les Babas vivent sur les basses terres dans un milieu arboré et luxuriant près de la mer. Ils jardinent, chassent un peu, pêchent et élèvent quelques cochons. Les Hohos vivent sur les hautes terres qui surplombent l’île. Jardinage difficile car la terre est caillouteuse, mais eux ont une bonne récolte de fruits, ils élèvent de nombreuses chèvres et consomment leur viande parfois et leur lait tous les jours. Les Babas et les Hohos ne se font jamais la guerre et n’ont jamais d’échanges matrimoniaux. Chaque tribu se marie en elle-même, et fait parfois la guerre a des tribus de son propre genre. Mais ils échangent entre eux. Rarement, deux ou trois fois par an, à l’occasion de cérémonies plus ou moins sacrées. Régulièrement les Babas offrent de pleins sacs de patates douces aux Hohos qui leur donnent en échange un ou deux chevreaux. Mais attention ! à quoi servent les chevreaux ? à un sacrifice au dieu principal des Babas, et les patates douces sont pour les repas cérémoniels en l’honneur des Anciens que font les Hohos. Et ce n’est pas tout : par cet échange, les Babas participent au culte des ancêtres Hohos qui eux honorent ainsi le dieu des Babas. Pourquoi ? Les patates douces sont nées de la terre où sont ensevelis les morts Babas, et les chèvres se nourrissent de l’herbe qui pousse sur les tombes Hohos. On est dans ce qu’on appelle l’économie du don (et du contre don) : il y a échange de biens et de valeurs, mais pas abandon complet de la possession. Les patates contiennent un peu de l’ « âme » des Babas, les chevreaux de celle de Hohos, et ça, ça ne se donne pas.

    Le plus remarquable, c’est que parfois de telles tribus connaissent une monnaie. Par exemple, les Babas fabriquent des pains de sel et s’en servent pour « acheter » des parures de plumes multicolores à une tribu d’une île voisine. Ces parures sont pour les cérémonies religieuses et les pains de sel ne servent jamais de monnaie à l’intérieur de la tribu. Jamais, là seul règne le partage.

    Avançons encore un peu dans le temps et venons en à des États constitués. (Je passe les étapes intermédiaires). Prenons l’exemple classique de l’Égypte pharaonique. Là, nulle propriété privée, tout appartient à pharaon et, par délégation, à certains temples. Aucun individu n’a de statut autonome, tous appartiennent soit à la maison de pharaon, soit à tel ou tel temple. Là encore inventons une histoire pour illustrer : Monsieur Sethi est disons pêcheur. Tous les jours ou presque, il sort sur le Nil et attrape une douzaine de poissons. Il en garde, certains jours, un ou deux pour lui et Mme Sethi, et le reste, il le donne aux prêtres d’Hathor dont il est employé du Temple. Ce même Temple emploie Monsieur Huy comme agriculteur. Tous les ans celui-ci produit x boisseaux d’orge. Il en garde le nombre (à peine) nécessaire à sa consommation et le reste est stocké par le Temple. Qui le redistribue à l’occasion à M. Sethi et aux autres. Bien sûr, là j’abrège et je simplifie, mais le principe était celui-là. Ça n’empêchait pas le troc : sur le marché de la place, de temps en temps, M. Huy se payait un extra : du poisson en l’échangeant avec un sac de l’orge qu’il avait eu le droit de garder pour lui. Mais, c’est marginal, le plus gros de l’économie est « verticale », de bas en haut pour la production, de haut en bas pour la distribution. Et cela demande une énorme administration de scribes et de comptables.

    Simultanément, il existe un autre troc : d’État à État. Par exemple, l’Égypte va « acheter » du cèdre du Liban en échange de l’électrum qu’elle exploite en Nubie. Et là on commence à approcher la monnaie : ces échanges se font sur la base d’unités de compte. Tant de debens d’électrum pour tant de grumes de cèdres. Mais, à nouveau, cette partie de l’économie est marginale par rapport à l’ensemble.

    Puis donc naît la monnaie. La monnaie circulante. Quand, comment, pourquoi et quels seront les conséquences, c’est ce que nous allons voir maintenant.

    La confusion a plus ou moins commencée avec Aristote qui attribue trois fonctions à la monnaie : intermédiaire des échanges, réserve de valeur et unité de compte. Et, en effet, dès son époque la monnaie assurait ces trois fonctions. Le problème c’est que ces trois fonctions ne sont pas nées ensemble, loin de là.

    La première des trois fonctions, historiquement, est sans doute celle de réserve de valeur : le stock. Et on peut stocker n’importe quoi de pas trop périssable. Même de la nourriture, quelque temps, mais surtout des objets durables et on ne s’en est pas privé depuis l’aube des temps jusqu’à nos jours. Depuis l’homo habilis futé qui s’était fabriqué deux bifaces et en gardait un en réserve dans sa ceinture, se trouvant ainsi plus « riche » que ses collègues qui n’en avaient qu’un seul en main, jusqu’au milliardaire russe actuel qui acquiert force tableaux de maîtres et les planque dans ses coffres, en passant par tous les « trésors » d’or ou de pierreries qui jalonnent l’Histoire. Nul besoin de la monnaie pour cela.

    La deuxième, unité de compte, est, elle aussi, antérieure. Que ce soit la tête de bétail, le boisseau de blé ou le talent d’argent (et bien d’autres), on eut recours à ces « unités » pour estimer les biens dès la plus haute antiquité. Mais elles ne circulaient pas : on n’allait pas sur le marché avec trois bœufs pour les échanger contre de la salade ou des chaussures. Elles ne servaient que de repères dans les grosses transactions, internationales par exemple.

    Seule la troisième fonction, intermédiaire des échanges, est, relativement récente. En Occident, cela date du VIIe siècle avant Jésus-Christ en Asie Mineure (Lydie). Et c’est le résultat d’une révolution. D’une révolution qu’on pourrait qualifier de démocratique, au risque de l’anachronisme, mais en utilisant ce mot pour son étymologie : « dêmos, le peuple ». C’est en effet le refus par le peuple de l’injustice de la distribution des richesses par l’économie « verticale » que j’ai décrite précédemment, qui a amené à créer la monnaie circulante. Plus souvent sous la forme du tyran (au sens grec du mot) que de l’assemblée populaire, le peuple prit le pouvoir contre l’ « aristocratie » (guerrière ou religieuse) et se vit distribuer de manière équitable (enfin plus équitable) les richesses produites par la Cité. Ce furent les pièces d’or frappées du sceau du tyran.

    Au lieu d’être comme avant payé en nature, le citoyen est désormais rétribué par le tyran (ou l’assemblée) de ses services (militaires, corvées, etc.) par de l’or certifié. Et certifié ça veut dire, par exemple, que le tyran s’engage à accepter cet or comme paiement de l’impôt et que les Temples les acceptent comme offrandes. On peut aussi avec se procurer l’équipement nécessaire à son activité : la lance et la cuirasse que me fournissent les ateliers royaux, le bois que mon métier de charpentier nécessite que je me procure auprès du noble qui a le monopole de son importation, et même de louer l’usage du bateau qui me sert à pêcher ou à commercer et que seuls les plus riches sont à même de faire construire.

    La monnaie (circulante) a donc ainsi été créée pour égaliser la distribution des richesses et fluidifier l’économie verticale. Mais, immédiatement, elle a servi à autre chose : l’économie horizontale. Désormais sur le marché du village[3], je peux donner une ou deux pièces d’or contre mes salades et mes chaussures, ça intéresse aussi celui d’en face : soit lui-même s’en servira de la même manière pour s’acheter des choses, soit il s’en servira pour payer ses impôts. Il a le même statut et donc les mêmes droits que moi.

    Ainsi naît le « marché » au sens actuel du terme. Et je propose une définition :
                    s’appelle marchandise tout bien qui peut s’échanger contre de la monnaie.
    Avant, je veux dire avant la monnaie, utiliser le terme de marchandise me parait indu. Et donc, dans le cas du troc, il est indu de parler d’échange de marchandises.

    Je reviens sur les trois fonctions décrites par Aristote : les deux premières seront désormais avantageusement exercées par la monnaie. Unité de compte, c’est évident, il suffit au pire de se mettre d’accord entre cités sur les valeurs respectives, ce qu’on appelle le change. Réserve de valeur, ça devient simple et même accessible à tous. Stocker trois pièces sous son matelas, ou mille dans une chambre forte est désormais facile. Donc, la monnaie exerce bien, comme le dit Aristote, ces trois fonctions, mais ce n’est pas pour cela qu’on l’a inventée.

    Le problème c’est que quand au XVIIIe, Adam Smith se met à étudier la chose (il n’est pas le tout premier, mais c’est le principal), il croit que l’état dans lequel il trouve les choses est « normal » de toute éternité. Que de tous temps on a échangé des marchandises. Comme il sait que la monnaie est d’invention plus récente, il suppose qu’avant on troquait. Et donc, pour lui, une marchandise c’est quoi ? N’importe quel bien que je possède et que j’aimerais échanger contre un autre bien que possède un autre. Le mot important dans cette définition c’est « possède ».

    Qu’est-ce que la propriété ? [C’est le vol dira Fourier un siècle plus tard, mais ce sera justement en perpétuant les idées smithiennes] La propriété va être définie, à la suite de Locke,  par ce que l’homme a ajouté par son action ou son travail à ce que la nature rend disponible. L’exemple qu’utilise Locke est éclairant : soit un chêne et, à ses pieds, des glands. Ces glands n’appartiennent à personne. Si maintenant, j’en ramasse une vingtaine, cette vingtaine m’appartient. C’est mon action qui crée la propriété. Ricardo, après Smith, insistera sur le « travail coagulé » dans l’objet, ce que reprendra peu ou prou Marx. Mais tout ça suppose que le concept de marchandise préexiste à l’échange en quelque sorte. Et je répète qu’ici il y a abus de langage, ou même anachronisme : les biens ne sont pas marchands avant qu’on invente leur échange contre de la monnaie.

    C’est cela qui permettra à Smith et à ses successeurs, les économistes libéraux, de considérer la monnaie comme « neutre », « inutile », comme un « voile » au-dessus de l’économie réelle. Pour eux, seuls existent réellement les échanges de biens. La monnaie n’est qu’une commodité pour les concrétiser.

    Reste un souci : pour pouvoir assurer ses deux autres fonctions (unité de compte, réserve de valeur) la monnaie doit être stable. Ne pas se déprécier. Donc revient le problème : qu’est-ce qui fonde, qu’est-ce qui assure la « valeur » de la monnaie ? Nous y arrivons maintenant.

    Qu’est-ce qui fait la « valeur » de la monnaie ?

    D’abord la confiance, ou peut-être devrais-je dire les confiances.

    La première confiance c’est celle des uns et des autres : les agents économiques, les simples citoyens aussi bien que les entreprises, doivent être sûrs que la monnaie qu’ils reçoivent en paiement de leur activité, leur permettra un achat dans des proportions correctes. Et cela pendant un temps suffisamment long. Qu’est-ce qui fait qu’un euro vaut un euro ? D’abord le fait que l’euro que j’obtiens en faisant telle ou telle prestation (travail, vente, etc.) me permet d’acheter une contrepartie correcte de cette prestation. Par exemple, que cet euro me permettra d’acheter ma baguette de pain quotidienne. Et cela, même dans quinze jours ou dans deux mois. C’est l’idée du troc sous-jacent. Et c’est aussi le premier endroit où l’inflation peut être délétère.

    Ensuite et surtout, la confiance en l’émetteur de la monnaie : ce qu’elle permet de racheter à l’émetteur de la monnaie. Historiquement, ce qui a permis le monnayage dans les cités grecques, c’est que lesdites cités acceptaient par avance d’être payées (impôts, tributs) dans cette monnaie qu’elles émettaient (et par le fait, se méfiaient des monnaies étrangères[4] ). C’est ce qu’on appelle la valeur libératoire de la monnaie. Et c’est toujours le cas. Qu’est-ce qui fait qu’un euro vaut un euro ? Le fait que l’euro que j’emprunte à la Banque qui est, de nos jours, le réel émetteur de la monnaie[5], cette même Banque l’acceptera tel quel pour éteindre ma dette[6]. (Autrefois c’était la Banque Centrale ou l’État qui émettait cette monnaie et le problème était le même). C’est le deuxième endroit où l’inflation peut jouer son vilain rôle : si la Banque me réclame plus qu’un euro pour rembourser celui qu’elle m’a prêtée, je ne vais plus emprunter, et la machine économique se grippera.[7]

    Et c’est à cet endroit que s’insinue le problème du marché : si, entre le moment où j’emprunte mon euro et celui où je le rends, le marché a fait joujou avec ma monnaie, rien ne me dit que mon euro me permettra d’éteindre ma dette. Ce que l’État me garantissait autrefois, le marché, dans sa frénésie et sa volatilité, ne me l’assure plus. Or, comme nous l’avons vu dans le premier article de cette série, c’est justement ça qui s’est passé au tournant des années 1960-1970 : on a confié au « marché » la gestion de la monnaie aux détriments des États.

    Avant de revenir sur cet aspect, je voudrais rapidement évoquer une illustration de ce que j’ai nommé ci-dessus la première confiance. Ce sont ce qu’on surnomme les SEL (Système d’Échange Local). Grosso modo, dans un quartier, un groupe, un réseau de personnes, on crée une pseudo-monnaie qui sert d’intermédiaire aux échanges. Notons tout de suite qu’elle ne remplit aucune des deux autres fonctions (réserve de valeur, unité de compte). Monsieur Dupont, ancien jardinier, fournit deux heures de jardinage à Mme Durand. En échange il reçoit disons 200 unités qu’il peut à son tour utiliser pour faire donner par M. Martin une heure de cours de maths à sa petite fille en difficulté à l’école et se faire faire une heure de ménage dans son appartement par Mme. Albert. Qui à leurs tours … Nous sommes là en présence d’une monnaie parallèle qui ne change rien aux fondements du système, voire l’aggrave en favorisant de fait une forme de travail « au noir », c'est-à-dire débarrassé du contrôle de l’État.

    Revenons sur la transformation qui a eu lieu, il y a un peu plus de quarante ans : on a dépossédé l’État du contrôle de la monnaie et les Banques Centrales du financement des États. Et on a confié les deux choses au « marché ». Comme je l’ai déjà dit, tautologiquement, le marché a traité et traite toujours la monnaie comme une simple marchandise. Ça baisse, ça monte. On offre, on demande. On achète, on vend. Etc. Et donc, dans ce système, ce qui fait la « valeur » de la monnaie c’est son marché.

    Tant que le monde a eu à peu près confiance dans ledit marché (années 1980 – début des années 1990), ça a fonctionné. Et même prospéré. Puis sont apparues les « bulles ». Les bulles spéculatives. Qu’est-ce que c’est ? un sous-produit normal du marché : Si, moi marchand de moutons, je sens qu’à l’approche de telle ou telle fête, la demande du mouton va augmenter, je vais diminuer mes ventes, faire des réserves et ainsi faire monter le prix du mouton. Jackpot. Ça ne marche pas à tous les coups, il y a d’autres acteurs sur le marché qui peuvent me couper l’herbe sous le pied, mais le jeu en vaut la chandelle. C’est un fonctionnement normal du marché : spéculer à la hausse, comme je viens de le décrire, ou à la baisse. Et on a fait pareil avec la pseudo-marchandise monnaie. Et là c’est une catastrophe.

    Comme je l’ai dit plus haut, ce qui fonde la valeur de la monnaie c’est la confiance. La confiance qu’on lui fait et la confiance dans ceux qui l’émettent. Si le marché fait faire du yo-yo à la monnaie, la première confiance s’effondre, et si ça se renouvelle, la confiance dans le marché émetteur s’effondre à son tour.

    Et quand je dis confiance, c’est un euphémisme. Je devrais dire croyance, et même Foi, avec un F majuscule. Car, en fait, on est dans le domaine du sacré. En proie à une concurrence acharnée entre eux, à une rivalité mimétique forcenée, les différents acteurs de la scène économique se mettent d’accord sur un objet émissaire : la monnaie[8]. Et cette monnaie peut-être n’importe quoi, il suffit de s’entendre. Ce fut de l’or, mais ce fut aussi de simples coquillages, parfois travaillés parfois simples, ce furent des fèves de cacao, ce furent même quelquefois des hommes (esclaves), actuellement ce ne sont que des bouts de papier imprimés et même de simples chiffres sur un relevé bancaire. Une illustration amusante de la chose : en Italie, dans les années 1960, les dévaluations avaient rendues la petite monnaie inutilisable (sa valeur métal était nettement plus forte que sa valeur faciale), elle fut remplacée par des bonbons ! Oui, des bonbons. Ce qui d’ailleurs provoqua un essor formidable d’une industrie de fabrication de bonbons médiocres. Mais tout le monde savait qu’en donnant trois bonbons, on rendait une monnaie en laquelle le commerçant en face avait suffisamment confiance.

    La Foi. Ce qui fait la valeur de la monnaie, c’est la Foi que la population (simple citoyen, entrepreneur, capitaliste, financier, etc.) qui l’utilise, a en elle. Alors, faire rentrer cette monnaie dans le cycle normal de la concurrence et de la rivalité, le marché, c’est, à coup sûr, détruire, à plus ou moins long terme, cette Foi. C’est la rendre « normale », objet de convoitise, de commerce et de rivalité comme n’importe quoi d’autre. Et c’est ça qu’ont fait les réformes d’il y a quarante ans.

    Et c’est ça, le néolibéralisme. Qui se présente comme la continuation du libéralisme, alors qu’il n’en est qu’un dévoiement. Nous en reparlerons.

    (à suivre)



    [1] ou, plus près, regardez les chats de mon jardin : si je ne sors qu’une gamelle, le mâle dominant local mange à satiété et les autres le regardent faire assis autour attendant plus ou moins patiemment qu’il leur en laisse un peu. Moi, équitable, je sors au moins deux gamelles.          [retour au texte]

    [2] Lire par exemple les divers ouvrages de Maurice Godelier, en particulier L’énigme du don, mais aussi tous les autres.          [retour au texte]

    [3] Je raccourcis fortement l’évolution : les pièces servirent d’abord surtout aux gros achats, mais assez rapidement on inventa la « petite monnaie ».          [retour au texte]

    [4] voir par exemple :  DécretsurlespoidsetmesuresàAthènes .          [retour au texte]

    [5] Quand j'ai écrit ce texte, il y a bientôt 4 ans, je ne me suis pas rendu compte à quel point cette expression était maladroite, voire dangereuse. Certains en infèrent en effet que les banquent «créent » la monnaie. C'est parfaitement faux. Ce que je veux (voulais) dire c'est que les banques « distribuent » la monnaie. Ce n'est pas nouveau en soi, ce qui est nouveau c'est d'une part qu'elles sont devenues les seules distributrices à l'égard du citoyen lambda (essayez donc de toucher votre salaire en liquide), d'autre part que les entreprises doivent en faire autant, et que même et surtout les États doivent passer par les banques pour obtenir de l'argent !         [retour au texte]

    [6] Et le taux d’intérêt ? Théoriquement, le taux d’intérêt devrait être (plus que) compensé par la croissance de ma richesse que l’euro que j’ai emprunté, aura permise.          [retour au texte]

    [7] Il y a une troisième confiance qui entre en jeu : la confiance internationale. Je n’en parlerai pas spécifiquement car, de fait, elle se ramène aux deux autres.          [retour au texte]

    [8] Lire à ce propos, si vous le trouvez encore : La violence de la monnaie de Michel Aglietta et André Orléan.          [retour au texte]


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