(Épisode précédent)

J’y suis retourné à Rome. Six ans plus tard. C’est pas que l’envie m’ait manqué entre temps, loin de là, mais il n’y a pas que l’envie dans la vie, y’a aussi les obligations et les moyens. C’est même pire : si t’as les obligations, professionnelles par exemple, ça te donnerait les moyens, ben oui mais t’as plus le temps, et, maintenant que les obligations sont parties, j’aurais le temps, ben oui mais j’ai plus les moyens. Saloperie de monde économique, va. T’imagines pas : à chaque pièce jointe dans mes mails qui causait d’Italie, à chaque docu télé qui sillonnait Rome, à chaque coup d’œil de hasard qui tombait sur une photo de là-bas, tiens ! même à chaque Berlusconade rapportée par la presse, je vibrais d’envie et de frustration. Pout te dire l’état de manque, y’a eu des soirs où, au lieu d’aller me coucher, je me branchais la RAI sur la télé (cent fois béni soit le nom de l’inventeur de l’ADSL) et je restais là écoutant, comprenant, peu mais quand même, sentant bien pourquoi le public rigolait même si j’en n’avais pas compris toute la finesse, baignant, heureux, dans un flot d’Italien.

C’est ma sœur qui a enlevé le morceau : j’en avais tant causé, avec des trémolos dans la voix, qu’elle avait envie que je l’y accompagne. Alors on s’est décidé : ma sœur, mon beauf’ et moi, dix jours là-bas. On a même failli être cinq : ma fille et son bonhomme en plus, mais pour de sombres histoires de dates de vacances ce fut impossible. Déception de la fille. Bien sûr, l’a fallu que je rachète du Tranxène®, mais j’ai plutôt mieux supporté. Tiens l’avion, ça devient quand même dingue : on était à 6h30 à l’aérodrome de Nantes pour arriver à 12h30 à Fumicinio. D’accord 6 heures au total c’est court, mais si tu regardes dans le détail deux heures de vol et quelques, presque quatre d’attentes diverses. Un tiers, deux tiers. Attendre : au mieux sur des chaises inconfortables dans un endroit où t’as même pas le droit de fumer, au pire à piétiner dans une queue en te désapant à moitié pour passer sous un portique. C’est beau le progrès. Bon c’est pas le sujet.

Trastevere. On avait loué un appart’ dans le Trastevere. Je conseille. Pas seulement à cause de l’ambiance, mais je te dis pas les chouettes boutiques qu’on y a trouvé : c’était bon, pas cher, et les gens sympas comme c’est pas envisageable ! Et puis, y’avait même un marché, à deux pas, patate gialle, patate rosse, verdura, tout ça. Mais bon, on voulait pas que résider, on voulait visiter. Dès le lendemain de l’arrivée, le programme c’était Colisée et Forum. Samedi qu’on était. Et moi qui n’avait vu pour de vrai Rome que quelques heures, je devais être le guide. Le guide, tu parles.

Je vous ai dit ailleurs que moi le Colisée, hein, bon. Ben ma sœur et son mec, eux si. Impressionnés qu’ils étaient. Z’avaient pas imaginé aussi grand, aussi majestueux. S’attardaient, tournaient autour, auraient même bien voulu y entrer. Moi, je bouillais, piétinais, je l’apercevais, là, à portée de main quasiment, la Via et ce que je savais derrière. On a fini par y aller, lentement, en admirant les alentours du cheminement. A l’entrée, j’ai bien vu un panneau, en Italien et en Anglais, je l’ai même compris, mais j’y ai pas cru. Alors on a avancé et puis là, bernique, c’était clôturé, y’avait une porte d’accord, mais seulement d’ « uscita ». Z’ont enfermé le Forum ! tu te rends compte ? Une seule entrée, sur la via dei Fori Imperiali. On est redescendu, on a contourné, oh c’était pas du temps perdu : les choses à voir ne manquent pas vraiment, comme le nom l’indique, tu vois les Forums des Empereurs, Trajan, tout ça. Mais bon, moi c’est l’autre que je voulais voir. On arrive à l’Entrée et là y’a un mec, sympa pourtant, qui me dit « e chiuso ». L’était 16h10, ça fermait à 16h15. Sympa je vous dis, compatissant même, nous explique : demain (heure d’été) ça ne fermera qu’à 18h15. Pour 12 € vous acheter un billet, valable deux jours, qui vous donne droit en plus d’entrer dans le Colisée. Causait un peu Français : je lui dis « y’a 6 ans on entrait comme ça, libre » M’a pas cru, l’était trop jeune.

Moi, je me suis senti maudit. Deuxième fois que j’essaye d’entre sur ce Forum, deuxième fois que je ne peux pas. D’accord, la première fois c’était un tantinet plus sérieux, mais bon ça commençait à devenir système. Enfin, on est reparti. Voir d’autres trucs.

Samedi donc. Le Dimanche, sottement, on s’était dit St Pierre : t’aurais vu la queue, t’aurais renoncé toi aussi, on en a profité pour repérer les lieux pour le Mardi. Tu vas voir pourquoi tout à l’heure. Le Lundi, la météo prévenait qu’il allait pleuvoir, on s’est méfié (cirés, impers) mais on est sorti et on a pris le bus : St Jean de Latran, Piazza di Spagna, Piazza del Popolo. L’a quasiment pas plu. Le Mardi, on avait réservé pour les Musées du Vatican, je vous en parlerai une autre fois. Une grosse journée, pas cap’ de faire grand-chose de plus. Donc, Mercredi.

Mercredi, on est retourné au Forum. Direct à l’entrée ce coup-là. Faisait chaud, on s’était habillé léger. 12 €, on entre. J’avais pas mis deux pieds sur les dalles que la pluie a commencé à tomber. « Bah c’est pas trois gouttes qui vont nous faire fondre » a dit mon beauf, optimiste. J’t’en fous, dix minutes après c’était un orage de dingue. On avait réussi à s’abriter sous une petite structure protégeant des fouilles en cours, on n’a pas été les seuls à en profiter. Ça tombait, ça grêlait, ça tonnait, du tonnerre de Zeus, oups pardon de Jupiter. Les éclairs qui tombaient à 200 mètres de nous sur le Palatin, les grêlons qui rebondissaient sur les dalles de la Via Sacra. Un spectacle énorme, inquiétant : ça tombait vraiment pas loin et l’abri était métallique, mais énorme le spectacle.

J’étais partagé : d’un côté, j’avais l’impression de vivre pour de vrai un orage romain, comme dans les livres, comme je me les imaginais dispersant la foule du Forum. A vrai dire, en ce temps-là, eux ils avaient les Temples et les basiliques où entrer s’abriter, maintenant c’est pas les trois colonnes qui restent qui vont. D’un autre côté, je me sentais de plus en plus maudit ! Trois fois maintenant ! mais bon d’là qu’est-ce que je lui ai fait à Jupiter pour qu’il ne veuille pas de moi ici ? Pourtant j’ai plus de respect pour lui, que pour l’autre là, le Petit Jésus dont je vous parle parfois, pourtant j’ai visité trois ou quatre fois St Pierre et le Vatican, jamais un souci, sinon l’ennui éventuellement. Alors quoi ? Je lui ai posé la question plein de fois en regardant la grêle et les éclairs. L’a fini par se calmer. M’a compris ?

Une grosse demi-heure. Je l’ai fait finalement le Forum. J’ai même visité le Colisée dans la foulée.

(à suivre)