• Saligaud !

    Un jour ma belle–mère m’a traité de « Saligaud ». Et elle souriait en le disant. Ou peut-être était-ce « Espèce de petit saligaud ! », mais je maintiens le sourire. Ça a sans doute été le plus grand moment de complicité entre elle et moi, mais faut bien dire qu’on n’a pas eu l’occasion d’en avoir beaucoup.

    Y’en avait eu au moins un autre : le jour où j’ai acheté la bague de fiançailles de ma femme. Ladite future femme, et donc fille de la belle-mère en question, était fille de bijoutier-horloger. Et c’est sa mère qui a dirigé la transaction. Me l’a fait a un prix dérisoire. Si vous préférez, c’est elle qui a offert, sur la caisse du magasin, la bague de fiançailles à sa fille, moins quelques picaillons. J’en fus conscient. Honteux , mais consentant et conscient. Et elle le savait. Complicité.

    Pour l’autre, faut que je vous raconte les circonstances. Je connaissais à peine depuis quelques mois la future épousable, que sa mère se découvrait un cancer du sein. Et le négligeait. Enfin, suffisamment pour ne pas le traiter assez. Pourtant déjà à cette époque lointaine, on arrivait vaille que vaille à contenir. Elle a fini quand même par le dire à sa fille, c’est ça qui a provoqué le mariage. Moi, j’étais plutôt union libre, Sartre et Beauvoir, tout ça, question d’époque. Ma femme aussi d’ailleurs, mais bon là y’avait comme qui dirait urgence : rassurer Maman. Que sa fille, au moins, soit casée avant de. J’ai pas pu, ni même voulu aller contre. Alors on s’est marié. Ce fut difficultueux, j’en ai parlé ailleurs, mais bon c’était fait et, effectivement, rassurant.

    Mais pas longtemps. La belle–mère dont je parle a quand même eu le temps de me hérisser le poil à quelques occasions, c’était le genre interventionniste : et hop, des rideaux au fenêtres qu’on n’avait pas demandés, et hop, un escalier ciré hors de propos (tu sais de quoi se casser la gueule, le coccyx ou autre, mais je resterais poli : la cire ça glisse !) , et hop … Mais les hop ce sont arrêtés très tôt. Récidive. Plus. Métastases. Osseuses qui plus est. Elle fut clouée au lit deux ans. C’était une forte femme, pas du genre à céder, alors ça a duré. Petit hôpital d’une petite bourgade. Visites hebdomadaires. 60 km. Plein, donc, de week-ends consacrés. Je n’entrais pas dans la chambre tout de suite : sa fille d’abord, qui la remaquillait et qui lui ajustait la perruque rendue nécessaire par ces putains de chimios. Puis moi après.

    À la fin, sa fille lui fourrait de force dans la bouche, écrasé menu, le plus fort analgésique qu’elle avait pu trouver. C’était pas encore la mode des soins palliatifs, l’est-ce même encore, j’ai des doutes. Mais face à la souffrance, je dis bien la souffrance, pas le bobo ! la souffrance ! intense, totale, continue, intolérable, sans répit, sans espoir, fallait préserver la « dignité » et « oh ! de la morphine, des opiacés, mais vous n’y pensez pas, ça la tuerait ». Ben tiens. Comme si. Tu parles d’un résultat : quelque part dans sa tête, ça a réussi à convaincre sa fille qu’elle avait achevé sa mère ! S’en est jamais tout à fait remise.

    Ce jour-là, on était plein dans ladite chambre. Ma femme et moi donc, son frère et sa propre épousée, l’autre frère encore trop jeune, peut-être même le père, je ne sais plus. L’ambiance était lugubre, car tous savaient et redoutaient. Je ne sais plus non plus quelle occasion j’ai saisie, un dialogue quelconque sur le monde extérieur, mais j’ai dit « Oui, mais dans quelques jours quand vous sortirez, vous irez à vélo … ».

    Ils se sont tous figés, muets, estomaqués, sauf elle qui m’a regardé et là donc m’a dit « Espèce de petit saligaud ! » Et je vous jure que ses yeux riaient et pétillaient, et me remerciaient.


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 29 Novembre 2012 à 16:33

    Ben je n'aurais pas du te lire aujourd'hui...Saligaud ,va! Ta femme a fait ce qu'elle a pu, ce qu'elle a du, elle a essayé de soulager sa maman puisque personne ne le faisait à l'epoque. Aujourd'hui,les soins palliatifs font tout ce qu'ils peuvent pour soulager.Pour ma mere, quand elle est arrivée et que je leur demandais de la soulager, en insistant suffisamment pour qu'ils comprennent le message sous jacent, comme elle etait encore lucide, ils lui ont demandé ce qu'elle voulait: Bien droit dans les yeux elle a répondu: Ne pas souffrir.Elle venait du milieu médical et elle savait, avant meme d'entrer en clinique ce qui l'attendait.

    Alors ils ont essayé tout en m'expliquant que pour un cancer du pancreas, la morphine n'avait que peu d'impacts.donc ils melangeaient avec d'autres calmants ..Mais rapidement, ce n'etait pas suffisant..Le mardi, le medecin est venu perso deux fois , m'a expliqué que s'ils continuaient à trop augmenter elle ne resisterait pas, son coeur cedant, eau dans les poumons, s'etranglant avec sa propre salive..J'ai repondu que je ne voulais pas la voir souffrir....Ils m'ont entendue....

    En tout cas, tu etais present tout le temps, merci pour elle, merci pour ta femme et ta famille.Dans ces instants là, c'est important d'etre entouré(e),surtout par un saligaud...

    2
    Jeudi 29 Novembre 2012 à 16:58

    Je sais que je ne devrais pas te répondre aujourd'hui non plus, mais je le fais quand même.

    C'est pas si idyllique que ça, encore actuellement. Je parle des "soins palliatifs". Ca dépend énormément des endroits.

    Mon ex a perdu son nouveau compagnon il y a un peu plus de deux ans maintenant. A Angers, l'hôpital. Même cause, mêmes effets : cancer qui se généralise.
    Lui aussi c'était un battant, mais, à la fin, l'en pouvait plus : "J'en peux plus, Mimi, j'en peux plus !" qu'il disait à mon ex.
    Mon ex couchait par terre auprès du lit, il se réveillait parfois en pleine nuit : "Mimi, t'es là ?".

    Elle s'est battue et battue pour qu'on augmente les anti-douleurs : même réaction réticente qu'autrefois de la part du corps médical ! (Et elle s'y connaît, l'était préparatrice en pharmacie, c'est même comme ça qu'elle avait l'analgésique dont je parle dans le texte).

    T'imagines le re-vécu pour elle ?

    J'ai croisé des toubibs qui sont prêts à, mais j'en ai croisés aussi qui n'y arrivent toujours pas.

     

    3
    Jeudi 29 Novembre 2012 à 17:30

    J'espere que Hollande va faire ce qu'il a dit et légaliser l'euthanasie.Zut de zut!! D'autres pays l'ont fait et il n' y a  pas plus de morts pour autant! 

    J'imagine le calvaire psychologique enduré par ton ex femme. J'aimerais les voir, ces medecins et/ou infirmieres qui refusent les anti douleurs! J'aimerais qu'ils prennent 1 journée la place des patients en fin de vie, on verrait ce qu'ils demanderaient! Quand un malade est mourant, que c'est une question de jours ou d'heures..pourquoi refuser cette aide? 

    Je sais que Reims est réputée pour son traitement de la douleur.Dans notre malheur, nous avons été aidés malgré tout...

    4
    Jeudi 29 Novembre 2012 à 18:02

    Je vais te raconter deux trucs :

    J'ai une amie (hors du monde du blog - sur un forum de latin !) atteinte d'un cancer elle aussi. Se bat. Mais bon. Elle a carrément écrit récemment à Fr. Hollande pour lui rappeler sa promesse. J'espère que le François il aura assez de couilles pour le faire...

    Ma mère m'a souvent raconté cette histoire :
    Du temps qu'elle était jeune et en âge d'accoucher, les infirmières étaient souvent des bonnes soeurs. Il y en avait une qui, malgré les remontrances de sa supérieure, ne supportait pas que les nanas crient pendant le "travail". (Vous avez pas connu les jeunots, mais c'était le genre à dire : "Offrez votre souffrance à Dieu pour le rachat des pécheurs" !). Puis un jour, elle a eu un truc du genre coliques néphrétiques (à déconseiller aux douillets). Après, sa supérieure est revenue à la charge sur le mode : "Vous avez compris maintenant ?"
    Elle avait compris et n'a plus jamais pesté contre ces femmes de rien.

     

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    5
    Jeudi 2 Mai 2013 à 00:07

    Je reviens sur ce vieux commentaire (celui du 29 Novembre).

    Entre temps Iulia est morte. Exprès. L'a préféré.
    Mais "dans la solitude et le silence", comme me l'a dit sa fille. Le François n'a toujours rien fait.

    Ca fait 4 mois que je vis avec ça dans ma tête et que je digère pas. Et que je ne digèrerai jamais.

    Tiens lisez d'abord ça. Vous comprendrez mieux.

    Juliette je la connaissais peu : quelques échanges sur un forum de latin, quelques mails perso, sans plus.
    Mais je lui ai fait lire cet article, malgré son état ! Histoire de lui dire que je savais de quoi elle causait.

    M'a traité de con ! D'avoir osé parler de vélo à ma belle-mère. (M'en fous, suis sûr qu'elle rigolait). Et bien sûr je rigolais...

    J'ai fait mienne depuis au moins 50 ans cette phrase de Beaumarchais : " Je m'empresse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. " Et je l'applique au quotidien.

    J'ai dit récemment à quelqu'un(e) que plus je délirais, plus j'allais mal. Ce n'est pas si automatique que ça, mais ça y ressemble. Ne jamais rien prendre au sérieux, surtout pas la vie ni la mort !

    J'ai commencé il y a environ 50 ans (j'en ai 61). Toujours trouver le côté dérisoire, toujours gratter là où ça fait déjà mal, toujours se foutre de tout : la vie n'a pas de sens, il faut juste la vivre au maximum. On n'en a qu'une. "Donner un sens c'est remplacer une chose par un mot." (Charlie Chaplin).

    Et surtout ça :
    "[....] la mort, n'est rien pour nous, puisque lorsque nous existons la mort n'est pas là et lorsque la mort est là nous n'existons pas.[...] ". Epicure.

     

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