• Spirou

    Je vous ai déjà parlé de mon avidité de lecture, je vais vous en donner un autre exemple : j’ai passé des heures chez le coiffeur certains Jeudis après-midi. Jeudi. Faut vous dire d’abord qu’en ces temps reculés, la pause scolaire hebdomadaire était le Jeudi et non pas le Mercredi comme un sot Ministre de l’Éducation l’imposa plus tard. C’est vrai qu’à l’époque on travaillait aussi tout le Samedi, ça équilibre. Tout le Samedi ? Tout le Samedi ! La preuve : à 16h un certain Samedi de Juin (le deuxième), tout d’un coup dans la classe s’élevait un « vroooooouuuuum » puissant et persistant. L’instit’, vaguement complice, ne disait rien se contentant de sourire et sachant bien que ça ne durerait que quelques secondes : le départ des 24 Heures du Mans venait d’être donné. Bon, je me suis éloigné moi là, faudrait pourtant que je vous en parle de la Rédaction qui a suivi : sujet les 24 dites Heures. J’ai fait un réquisitoire contre : sport commercial, criminel, tuant les gens, et pas que les pilotes mais aussi les spectateurs, tout ça quoi. J’avais écouté mon Papa. Ça n’a pas plu. Mon instit’, très brave homme, excellent pédagogue, était un fan de voitures. Même qu’il avait une Panhard-Levassor ! C’est vous dire. M’a obligé à la refaire, sur le mode « a permis des tas de progrès techniques : essuie-glace, phares, etc. » Docile, je l’ai fait et j’ai eu une bonne note, mais c’est ce jour-là que j’ai compris les limites de ce qu’on appelle la Liberté d’Expression : j’avais pas osé finir mes phrases, parce que sinon mes phrases elles auraient dit « progrès techniques au dépens des vies humaines », mais j’aurais pas eu la bonne note.

    Oui donc, coiffeur, Jeudi après-midi. Jeudi, z’avez compris y’avait pas école donc je pouvais. Le coiffeur maintenant : en fait j’allais chez Touzé. Le fils Touzé ! Jules. Le père n’exerçait plus guère, sauf peut-être encore pour ses plus vieux clients, mais c’était toujours chez Touzé, pas chez le coiffeur qu’on allait. Remarque grammaticale : voilà pourquoi on doit dire « chez » le coiffeur, et pas « au » coiffeur ! Vous vous voyez dire je vais « au Touzé » ? Je m’asseyais sagement sur une des chaises disposées là pour attendre, et l’après-midi merveilleux commençait. Il y avait sur une table, là, à droite, le long du mur, une pile d’illustrés : des Spirous et des Tintins. Je les lisais tous, voire en relisait du mois précédent, avant que de daigner laisser les ciseaux approcher de ma tête. Parfois un client, adulte, disait à Jules « mais le petit, là, il était avant moi … » « pas grave, répondait Jules, il préfère rester à lire » Il avait bien raison. Personne n’était inquiet, ma mère savait très bien pourquoi ça durait si longtemps, je n’étais pas à courir faire des sottises, Jules me surveillait du coin de l’œil et je ne le gênais pas, silencieux comme tout, sa femme et son père me considérait parfois d’un regard amusé, je n’en avait que faire : le monde extérieur n’existait plus. Je lisais.

    Je préférais nettement Spirou à Tintin. Pure subjectivité, mais bon c’est comme ça. Mais je lisais les deux. Comptez : en gros une fois par mois, deux hebdomadaires, ça nous fait huit illustrés à lire au minimum avant que de céder et de passer sur le fauteuil. À la maison, ils n’avaient pas le droit d’entrer. Je vous raconte. Beaucoup plus petit, je devais être en CP, il y avait juste à la sortie de l’École une marchande d’un peu tout : mercerie, épicerie, confiseries, etc. et aussi d’illustrés. J’avais remarqué, en vitrine, l’existence d’un truc qui me tentait bougrement : Le Journal de Mickey ! Oui, mais 20 francs. (Note pour les jeunots : 20 « anciens » francs, 20 centimes quoi, pas grand’ chose donc) et les 20 francs je les avais pas. Ceux qui m’ont déjà lu auront peut-être deviné quelle astucieuse solution je trouvai. Un jour que ma grand-mère, Mère à Père, était venue me chercher à la sortie de l’école et où (évidemment !) elle me fit faire une pause confiserie par la dite boutique, je lui dis mon désir. À partir de cette semaine-là, j’eus mon Journal de Mickey toutes les semaines. Même que ça a dû finir par un abonnement.

    Mais ça n’a pas duré si longtemps que ça au bout du compte. D’abord, je suis, et j’étais déjà, du genre bordélique. « Range ton bureau ! disait ma mère » J’avais un bureau ! voui Madame, je n’avais pas de chambre, normal y’en avait qu’une dans la maison, y’avait pas de salle d’eau non plus, les ouaters étaient dans une cabane dans le jardin (je me plains pas ! je raconte l’époque), mais j’avais un bureau, comme Papa, juste à côté de celui de Papa qui lui en avait besoin pour de vrai pour son travail, et, sur mon bureau, les Mickeys s’entassaient en vrac. Certains glissant même subrepticement en-dessous, qui pis est. Elle m’avait menacé plein de fois, j’avais pas pris garde, mais l’a fait la vache ! Un jour, je suis rentré : plus un seul Mickey, tous à la jaille ! Tu te rends compte du choc ? J’en aurais pleuré, parce que faut pas croire, je ne faisais pas que lire, je relisais aussi. Fini. Puis, un peu plus tard, mes parents, catholiques profonds voire intègres sinon intégristes, prirent conscience que Mickey était un journal laïque. Lui reprochaient rien, laïque j’ai dit, pas anti-curé, mais neutre quoi. Ma mère m’a dit « Autant que tu lises quelque choses qui est de notre côté ». Plus de Mickey, ce fut « Cœurs Vaillants ». Après un bref épisode Perlin et Pinpin. Pas mal d’ailleurs. Je l’ai lu aussi, mais vous imaginez bien que j’aurais pas pu demander, en plus, d’avoir Spirou et/ou Tintin. Z’étaient neutres eux aussi. Donc, Touzé. Rattrapage.

    Quand j’ai été grand, très grand, et que j’ai gagné mes premiers sous, la première chose que j’ai achetée, ça a été Spirou, toutes les semaines. La deuxième, ça a été Tintin. Puis, j’ai fait les bouquineries et je me suis racheté plein de vieux albums du Journal de Mickey. Et je relis tout ça régulièrement. C’est d’ailleurs là que, quelque part, ça devient rigolo. En relisant tous ces vieux Mickeys, Spirou ou Tintin, me suis rendu compte qu’au bout du compte ils étaient pas si neutres ou si laïques que ça. Oh, faisaient pas vraiment du catéchisme, mais l’Histoire Sainte, comme on disait, allait de soi. Tiens un exemple, M. Dupuis le célèbre éditeur de Spirou, avec son chapeau, voulait à tout prix qu’à la période de Noël, on insère une scène de crèche dans les BD qu’il publiait ! (Joie des auteurs !) Et vous avez lu quelquefois les billets d’Onc’ Léon dans Mickey, si tu connais quelque chose du plus moralisateur-sois-sage-et-obéis-à-Papa-Maman, tu me fais signe. Les miens de Papa-Maman auraient bien mieux fait de faire confiance à mon goût, tiens.

    Entre temps, ado, il s’est passé deux trucs qu’il faut que je vous raconte pour être complet.
    D’abord, on allait régulièrement chez des amis de mes parents passer une journée : repas du midi tous ensemble, l’après-midi les parents causaient entre eux et les enfants avaient quartier libre. Z’avaient quatre filles les amis, dont une de mon âge dont j’étais amoureux. Et moi qu’est-ce que je faisais ? Pendant que les autres jouaient, moi je lisais les albums du Journal de Mickey que, ô merveille, les amis en question avaient plein leur grenier. La copine a fini par me battre froid, que voulez-vous.
    Ensuite, Touzé que je croyais de mon côté, il m’a fait une vacherie que je ne lui ai jamais pardonnée. J’avais 14 ans. On devait aller au baptême d’un neveu, à Versailles. Même que c’était mon père le parrain. Donc, coiffeur pour être beau. M’a massacré l’animal ! Suis rentré en larmes (14 ans !) à la maison. moi, je commençais à vouloir des cheveux plus longs, c’était pas encore tout à fait la mode (début 1966) mais ça venait et je précursais comme un fou. Même ma mère qui ne voulait pas que je les garde longs, a eu pitié. Je suis pourtant sûr que c’est elle qui avait passé le mot à Touzé de ne pas m’écouter. M’a pourtant ramené chez lui pour exiger qu’il améliore les choses. Pouvait pas les recoller, alors m’a gominé. Le lendemain, à Versailles, tout le monde, les oncles, les tantes, les cousines, me complimentait : « Qu’est-ce que t’es bien coiffé ! Ça te va bien. » M’ont vraiment cru si idiot que j’avais pas compris qu’il s’était passé le mot pour me consoler ? N’empêche, Touzé, j’y suis plus retourné.

    Je vous ai dit tout à l’heure que je préférais Spirou à Tintin. C’était général, mais c’était aussi particulièrement à cause d’une BD que j’adorais : Johan et Pirlouit. Mon goût pour l’Histoire, quoi. C’est pour ça que dès que possible, j’ai acheté Spirou. Pendant vingt ans et plus, j’ai attendu. Peyo est mort sans en refaire un seul. Fait chier.

    Après, j’ai acheté Pilote, mais c’est une autre histoire, je vous en parlerai une autre fois.


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