• Un jour, j’ai réussi à faire peur à mon cardiologue ! Un cardiologue, par nature et par fonction, est un type inquiet. Inquiet et inquiétant. Je ne compte plus le nombre de fois où je suis sorti de chez lui, le moral dans les chaussettes, persuadé d’une issue fatale et prochaine, alors que tous les examens étaient bons. Réussissait quand même à ne pas être rassurant dans ses conclusions, et, quand deux étages plus bas, je m’asseyais dans ma voiture, il me fallait quelques minutes avant que de pouvoir démarrer. Ah oui ! vous avez remarqué ? deux étages ! sans ascenseur ! z’ont eu le culot de mettre les cabinets de cardiologie au haut d’un long escalier bien essoufflant. Inquiétants, je vous dis. Donc, c’est presque d’une vengeance dont je vais vous parler.


    Un cardiologue, comme la plupart des toubibs, ça fait des tests et des examens. Dont un : le cardiogramme d’effort. Vous montez sur un de ces vélos qui ne mènent nulle part, comme un vélo d’appartement, mais là le but ce n’est pas d’évacuer vos kilos superflus ou de vous maintenir la forme, c’est l’inverse : essayer de la briser votre forme, ou en tout cas de la pousser à bout. Déjà que je n’aime guère le vélo, alors là, hein ! Je dois avouer que les choses m’ont été facilitées : mon cardio non plus, il aime pas trop ce test, un inquiet je vous dis. Donc, avant de commencer le vain pédalage, je cause avec lui de mon peu de goût pour la chose, il me dit la sienne, j’insiste et méchamment lui lance « Goscinny ! » . « Alors là, si en plus vous me mettez la pression … » m’a-t-il répondu. Le test fut bref et je pus l’arrêter très vite.


    Pourquoi je vous cause de ça, moi ? À cause de Goscinny, justement. J’ai jamais trop supporté sa mort. Médicalement, bien sûr, mais ça c’est pas à moi de râler, c’est à sa fille qui d’ailleurs le fait, mais surtout humainement. Parce que Goscinny c’était quand même un sacré type ! Peu de temps après avoir enfin commencé à acheter Spirou et Tintin, comme je vous le raconte ailleurs, j’ai en plus acheté Pilote. C’était le début de la fin de la grande époque de Pilote, mais ça je l’ignorais. Pour vous dire, je crois que le premier numéro que j’ai acheté ça doit être celui où Reiser y a fait sa dernière apparition, ou peu s’en faut. M’enfin restaient quand même des types comme Greg, Gotlib, Bilal, Mandryka, … et une typesse Bretécher. Donc tout n’était pas perdu.

    Goscinny je le connaissais avant bien sûr. Je vous ai dit que je lisais Spirou, donc Lucky Luke, que je lisais Tintin, donc Oum Papah, et puis bien entendu, Astérix, comme tout le monde. Mais c’est en lisant Pilote que j’ai découvert à quel point ce bonhomme avait plus que du talent, du génie. Pas seulement comme auteur, mais aussi comme découvreur.

    Le plus rigolo c’est que parce que justement des types comme Reiser, Cabu ou Gébé n’en étaient plus que je me suis mis a acheter Charlie Hebdo ! Et donc c’est grâce à Goscinny que j’ai découvert Cavanna. Vous ai dit une fois qui si celui-ci savait ça, ça lui plairait pas. Parce qu’on était dans une époque de pleine mutation et d’effervescence : les année 70, comme on dit maintenant avec des trémolos de nostalgie dans la voix. L’après 68 comme on dit aussi. C’est peu de temps après que le trio Gotlib, Mandryka, Bretécher s’en est allé fonder l’aventure Écho des Savanes, par exemple. Et à l’époque, donc, il était de bon ton de ne pas trop priser ledit Goscinny. Mépris serait peut-être un peu fort, mais un certain dédain était de mise, quoi. Je l’ai vu traité de « raciste ratonneur » parce que, dans un album, Obélix tapait les Romains pour le fun ! Et, je ne sais plus si c’est sous la plume de DDT ou de Cavanna, j’ai vu traiter Pilote de supplément hebdomadaire du Figaro (comme Charlie de Hara-Kiri). Me rendait triste et mal à l’aise tout ça, parce que moi je continuais à aimer.

    Faut vous dire que c’était aussi l’époque où moi je virai, doucement, lentement, mais nettement à gauche. Et donc, ça dissonait. Pour ça et quelques faits de ce genre, que je n’ai jamais pu complètement adhérer à quelque Parti que ce soit. Me demandaient tous d’épouser leurs opinions, une déviance même minime y est toujours vue comme suspecte. Ben oui, mais moi je dévie. Souvent.

    Je revenais de loin, pourrait-on dire. De la droite. Extrême. Enfin pas l’extrême dont on cause de nos jours, mais de la droite bien à droite : royaliste. Partiellement pour cause de tradition familiale : famille maternelle légitimiste. J’ai bien dit légitimiste ! Même les Orléans sont des usurpateurs. Dans la chambre de la grand-mère y’a un arbre généalogique de la « maison de France », même qu’elle m’a offert une chevalière avec une fleur de lys dessus. Partiellement aussi à cause du milieu où je baignais à l’école : fils de bourges bien friqués très à droite. Mais j’y croyais aussi, tout seul, sans aide : l’idée c’est le au-dessus des partis, pas dépendant de. Ça surprend toujours, et parfois fait marrer les copains quand je leur dis que moi, en 68, j’étais du « mauvais côté » des barricades. Z’ont du mal à me croire, vu la suite. À la fin de Mai 68, j’ai viré à gauche : suis devenu gaulliste ! Net progrès. Toujours l’idée du au-dessus des partis. Puis petit à petit, j’ai continué : centre, PS, voire mao ou trotsko ou anar. Me suis jamais fixé, enfin jamais longtemps, à cause de ce que je vous disais précédemment.

    Tiens une petite histoire. En pleine époque trotsko, à la fac, on éditait un bulletin, genre brûlot, l’Iconoclaste ça s’appelait. Mon papa il vendait des machines de bureau et, lui, il est d’extrême droite, l’actuelle. Mais : machines de bureau, et donc papier et duplicateur[1]. Devinez où était tiré le dit bulletin ! Ben oui, chez moi, chez mon père. Savait parfaitement le contenu, s’en moquait, comme quoi on peut être d’extrême droite et être pour la liberté de la presse ! Un jour, j’y ai pondu un article dans le bulletin. Aie ! J’étais pas dans la ligne, mais pas du tout même. Pour résumer j’y disais que « si le jour du grand soir, moi j’avais envie de rester chez moi à me gratter les couilles, eh bien j’y resterai chez moi ». Z’ont pas osé me censurer, j’étais l’éditeur quand même ! Mais, houlà les discussions ! Et les hésitations. Ça s’est conclu par une note préliminaire se démarquant. Coup de chance, c’était vers la fin de l’année universitaire et un des derniers numéros. Suis pas sûr qu’ils auraient pu continuer avec moi.

    Plus tard, j’ai abrité chez moi le duplicateur (encore) d’un groupe mao. Complètement paranos, voyaient des flics partout. « Mais toi – sous-entendu qu’est pas fiable idéologiquement – viendront pas chez toi ». L’engin encombre toujours un coin de ma cave.


    Vous allez dire que je me suis sacrément éloigné de Goscinny. Je ne crois pas. C’est parce que je lisais aussi bien Pilote que Charlie que j’ai toujours refusé de me fixer. Goscinny, dans Pilote, il a laissé publier des tas de trucs avec lesquels je suis sûr qu’il était pas trop d’accord, mais justement c’est ça être libre.

     


    [1] L’ancêtre du photocopieur, on dit souvent ronéo, mais ça c’est une marque comme frigidaire au lieu de réfrigérateur. Et mon Papa c’était pas la marque qu’il vendait.      [retour au texte]


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