• On était début 2007. C’était à la fin d’un cours (de math), le dernier de la matinée. Un de ces cours qu’on faisait à deux, un collègue et moi. Je conseille : pour peu que l’on s’entende, qu’on ait des vues suffisamment proches et des caractères accommodants (surtout lui d’ailleurs, faut bien le dire), ça donne des cours d’une efficacité extraordinaire. Machin expose un aspect et lance une activité, les deux patrouillent dans la salle, surveillent, aident, complètent ce que font les mômes, les mômes eux-mêmes interrogent, parfois choisissant leur interlocuteur, parfois pas, et là, si la question y amène, on rebondit. Puis c’est Truc qui expose ou complète ou corrige en fonction de. Et on recommence. De temps en temps, Machin ou Truc prend la parole à la cantonade pour mettre en lumière la réussite de tel ou tel élève, fierté dudit, approbation de l’autre prof, émulation des autres. Et puis telle chose expliquée par Machin est tellement plus claire quand c’est Truc qui la reformule ! Et inversement. Efficace je vous dis : j’ai toujours vu les élèves sortis heureux et repus de ces sortes de cours. Et fiers ! Ils avaient bien travaillé.

    Donc, on était à la fin, c’était midi, la plupart des élèves étaient déjà sortis. Norah c’était une lente, pas ce jour-là plus qu’un autre, élève sérieuse et travailleuse, parfois bavarde ou distraite, bien sûr, mais pas plus qu’une autre, pas très douée mais pas non plus une catastrophe. Moyenne quoi. Mais là, faisait exprès de traîner plus que d’habitude à ranger ses livres et cahiers. Y’avait plus qu’elle à feindre de rentrer sa trousse dans son cartable, déjà le collègue était dans le couloir, tout près. Et :

    « Dites, Monsieur, c’est vrai que si Le Pen il est élu, faudra que mes parents ils rentrent là-bas ? »

    Je te jure que quand tu prends ça dans la gueule, t’as pas le temps de respirer. Que ta gorge se noue et que tu sais même plus quoi ni comment répondre. Parce que si la môme elle te la pose cette putain de question, c’est qu’elle te fait confiance ! Qu’elle croit en toi, qu’elle sait que tu ne vas pas la tromper.

    Je ne sais même plus si j’ai réussi à répondre, et, si oui, quoi. Je sais que mon collègue a sauvé la situation : il était encore tout près, avait entendu, l’a rassurée. Puis on s’est regardé, lui et moi.

    Messieurs et mesdames les journaleux et les politicards êtes-vous conscients de la dose de souffrance, de peur, d’affres et d’angoisse dans laquelle vous plongez les gens avec vos discours saugrenus ? Norah, elle, elle était française. Née en France. (C’est même ça que j’ai dû lui répondre, platement). Si ça se trouve ses parents aussi, j’en sais rien, l’ai jamais su et n’en ai rien à foutre. Mais vos discours et palabres l’ont amenée à douter de ce qu’elle était ! Ne savait plus si elle était chez elle là où elle avait toujours vécu et où elle avait toutes ses connaissances, amies comme de rencontre. Née en France dans un quartier excentré d’une ville ouvrière moyenne, elle n’a jamais connu rien d’autre, ne connaît qu’une langue : le Français, a plus de potes et de copines « gaulois(e)s » que de toute autres teintes ou coloris, quand elle doit dire une injure – ce qui est rare (très rare) car elle est bien élevée – ce sera « con, chiée, putain, … » pas autre chose, quand elle bavarde (je vous ai dit ça lui arrive) c’est pour parler de l’émission de TF1 de la veille avec sa voisine Amélie, quand elle cause dans la cour avec les copines ( à 13 ans on cause, on ne joue plus) ce sera pour comparer le « petit haut » que Maman lui a acheté à Leclerc avec celui de la copine, acheté à Auchan. Etc.

    Française. Point.

    D’origine … J’ai dit : « Point ! ». Française.

    Arrêtez d’essayer de faire croire aux Français qu’ils sont racistes, le sont pas sauf quand ils vous imitent. Vous allez de temps à autres dans un troquet ? Je dis bien un troquet, pas un bar-brasserie de la haute, non un troquet de coin de rue là où le mec et la nana ordinaires vont parfois, le soir, après le boulot, boire un petit apéro sur le comptoir, apéro prétexte pour tailler une bavette. Oui ? Alors observez : vous avez là, côte à côte, Bernard, Aline, Ahmed, Lydie, N’Guyen (« putain tu peux pas avoir un prénom plus facile, toi ?! ») et Amine. Ah ça c’est sûr, Ahmed il se fait régulièrement charrier, y’en a toujours un, plus fin, pour lui proposer la coupelle de tranches de saucisson, et de se marrer du refus, quant à Amine, tu peux être sûr que si la lumière vient à s’éteindre y’en aura un ou une pour lui dire d’ouvrir la bouche : « avec tes dents blanches, on va y voir plus clair ». Mais quand Bernard, c’était lui tout à l’heure le saucisson, il entend traiter Ahmed de « sale crouille » il défonce la gueule de l’insulteur et, quand Amine a eu des problèmes au boulot avec son chef, c’est Aline, Ahmed et Lydie qui sont allés le défendre. Sont pas racistes, sont normaux, un peu cons parfois, mais normaux. Sont même capables de croire l’être : hier soir sur France 2 y’avait un reportage sur les immigrés. Sont tous les six d’accord : y’a trop d’étrangers en France. J’ai bien dit tous les six : Ahmed et Amine et N’Guyen en tête !

    Tu ne me crois pas ? Alors un autre exemple, prends la liste des personnalités préférées des Français, qui tu trouves ? Un footballeur d’origine kabyle, un joueur de tennis (devenu chanteur) franco-camerounais, un présentateur du JT black, un animateur de jeux et de variétés franco-égyptien, un comique d’origine marocaine, une femme politique née au Sénégal, etc. Bien sûr y’a aussi des « blancs » dans la liste, mais pas que, et même pas en tête ! Mais t’as raison, sont racistes les Français.


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