• En cette période quasi caniculaire, j’aimerais vous causer de choses légères et distrayantes, mais je ne le peux pas.
    Je vais plutôt vous parler de l’horreur qui approche et, pour ça, je vais partir d’une petite anecdote personnelle et familiale qui, prise isolément, n’a pas grande importance, mais qui, vue dans le contexte actuel, est significative.

    Ce dernier week-end, j’étais en famille, à la campagne. Il faisait chaud comme un peu partout en France et, malgré un orage qui compromit fortement le barbecue projeté, les températures ne baissèrent guère. Bien sûr, comme toujours dans ce genre de circonstances, on parla de choses et d’autres, dont :

    Depuis ma génération, ma famille vote « à gauche » (mes parents, eux, sont d'extrême-droite). Vous pouvez juger dès lors de l'ébahissement que provoqua mon ex, Samedi soir, en disant :
    « La prochaine fois, soit je ne vote pas, soit je vote pour la 'Marine'... ».
    Horreur et stupeur chez ma sœur et chez ma fille.
    Ma sœur n'intervint que timidement, mais ma fille se battit pied à pied avec sa mère.
    Je lui dis d'ailleurs un moment d'arrêter : plus elle argumentait (correctement), plus sa mère s'entêtait.
    Ni mon beau-frère ni mon gendre ne se mêlèrent de la conversation et moi fort peu : quelques rares faits à l'appui des dires de ma fille.

    A la limite, ce n'est qu'un petit fait, mais il est significatif : le « peuple de gauche » est découragé.
    Et même déboussolé.
    Il n'y croit plus et va se jeter soit dans l'abstention, soit dans le vote prurit qui peut engendrer des catastrophes.

    Ce sentiment de découragement ne touche pas seulement les « penseurs », il touche les « gens ».
    Ce qui ne me rend guère optimiste. Mais pas pour les raisons que vous pourriez croire, enfin pas seulement.

    La première idée qui vient à l’esprit est celle que j’ai moi-même souvent dite : « Ça pue les années 30 ». Ce n’est pas faux, mais incomplet.
    La deuxième idée, en restant dans le registre limité de la comparaison historique, est : « Ça ressemble aux années 1780 ». C’est vrai aussi, j’y reviendrai, mais c’est aussi incomplet.

    Le risque du fascisme ce n’est pas le Front National (en France, et ses variantes ailleurs dans le monde), le risque du fascisme c’est ce qui se passera après.

    Je reviens sur l’aspect « comparatif historique ».
    Comme dans les années 1930, nous sommes dans une situation post-crise économique et nous assistons, effarés, à la montée des extrêmes. Mais la comparaison s’arrête là : ce qui fit le succès des fascismes nazis et mussoliniens, c’était la protection que d’aucuns croyaient qu’ils apportaient contre le bolchevisme. L’équivalent actuel serait la protection contre la montée des « intégrismes », en particulier musulman, mais, même si les mouvements extrémistes en jouent, ils peinent à convaincre, sauf dans les régions où il n’y a pas de musulmans.

    Comme dans les années 1780, nous sommes dans une situation de « rapport de forces » bloquée. À l’époque, c’était la Noblesse et le (Haut) Clergé qui bloquaient toute tentative de réforme : voir, par exemple, les tentatives de Turgot qui fut vite remercié. À l’époque, aussi, il y avait moult « penseurs » qui disaient ce qu’il aurait convenu de faire : soit on les faisait taire, soit on les rendait inaudibles, comme maintenant. Cela ne put se résoudre que par la Révolution de 1789 qui renversa ce rapport de forces, mais qui déboucha sur la catastrophe : pas tellement la Terreur (ou plutôt les Terreurs), mais sur l’Empire et le rétablissement de la Monarchie. Il fallut trois quarts de siècle pour que les « concepts » révolutionnaires prissent quelque semblant de réalité et encore bien abâtardis.
    De nos jours, ce qui bloque c’est le monde financier et bancaire : ils ont le pouvoir, ou plutôt le rapport de forces est en leur faveur de manière écrasante. Nulle force ne semble pouvoir en venir à bout : situation prérévolutionnaire.

    Mais, là encore, le comparatif historique atteint ses limites : où est le « peuple » susceptible de se rebeller ? Pas en Europe du Nord : les pauvres et les prolétaires y sont de relatifs nantis, pas même en Europe du Sud : les sacrifiés de Grèce, d’Italie ou d’Espagne ne peuvent guère que protester, certes bruyamment et à juste titre, sans pour autant pouvoir infléchir quoi que ce soit.
    Ailleurs qu’en Europe ? Les Bengalis ? Les Sri-lankais ? etc. Oui, mais là se dresse un obstacle redoutable : la distance. Les centres de pouvoir sont à des milliers de kilomètres des lieux vraisemblables de révolte, inatteignables.
    Alors ? Alors, la Révolution aura lieu avec son cortège d’horreurs et de souffrances. Moi qui vous parle, je fais partie des privilégiés : je serai une victime. Peu importe, ce n’est pas mon sort qui m’inquiète, déjà plus celui de mes enfants ou petits-enfants.
    Et tout ça pour quoi ?

    Pour qu’en quelques courtes années, le pouvoir revienne à ceux qui le détiennent actuellement.

    Prenons un exemple local, facilement transposable aux autres pays européens. Imaginons que, lors de futures élections, la ‘Marine’ atteigne la majorité. Ce n’est pas un Hitler en jupon que je redoute, c’est ce qui suivra, la mise sous tutelle de la France par « les gens qui savent » ce qui est bien pour nous : le peuple a eu tort, corrigeons.
    Soyez rassurés braves gens, vous avez, sottement il faut le dire, élu un gouvernement irresponsable. Mais ne vous inquiétez pas nous veillons : nous allons vous sauver. Certes il faudra faire des sacrifices mais quel bien-être vous en tirerez !
    Quoi ? Vous voulez continuer à vivre ? Mais non, ce n’est pas possible : vous n’en avez plus les moyens. Le reste du monde aussi y a droit, soyez altruistes, enfin !
    Quoi ? Vous voulez… (là vous pouvez mettre n’importe quel acquis des luttes des deux siècles passés). Mais ce n’est pas raisonnable, enfin !

    Le « fascisme » qui vient n’est pas celui que nos parents ou grands-parents connurent, il est nouveau.

    Et pire.

     

    Vous allez me dire que je saute du coq à l’âne : j’évoque une révolution d’échelle mondiale à coups de Bengalis et de Sri-lankais (tel un petit Shou-En-Laï), puis j’en viens à une petite péripétie locale et franchouillarde.
    Détrompez-vous : je vous dis un processus.
    Le cas de la France est effectivement anecdotique, mais la réponse à une éventuelle révolte lointaine sera la même : la reprise en main des choses par l’oligarchie actuellement dominante.

    Certes, j’ai, là, endossé ma vieille toge blanche, mais défraichie, de prophète.
    Mais soyez assurés que si je me goure, je serai ravi de la jeter au feu.

    Et de danser autour.

     


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