• Je parle bien sûr de cet article paru dans ma rubrique musicale.

    Plutôt qu’un (trop) long commentaire, je préfère écrire un article complet sur le sujet pour y dire ce que je pense vraiment et répondre à vos propres commentaires.

    J’ai prévenu dès le début de l’article et dans la « Lettre d’info » qui l’accompagnait, que ces vidéos n’étaient pas pour tout public. Je trouve donc normal que certains se soient abstenus de regarder.

    Quel était mon propos en publiant cette page ? Dénoncer la censure, autre forme de violence. J’y reviendrai.

    D’abord je voudrais revenir sur les ressemblances et les différences entre les deux clips. Les deux dénoncent les mêmes choses mais s’y prennent différemment.

    Le premier « Born free » de M.I.A fait, comme je l’ai déjà dit, explicitement référence aux rafles nazies mais pas seulement. Il date de 2010 et a donc été tourné un peu avant, c'est-à-dire à une époque où l’armée américaine était encore engagée à fond en Irak et où la télévision nous montrait, quasi quotidiennement, des scènes « pour de vrai » qui ressemblaient furieusement au début du clip. Ce n’est pas innocent.

    Le second « College boy » d’Indochine est, lui, paru ce 3 Mai 2013. Il stylise et il fait dans la parabole : on « crucifie » une victime. Et il faut prendre ce mot de crucifier dans ses deux sens : le sens métaphorique et le sens réel. Depuis plus de 30 ans quand j’entends le verbe crucifier, je ne pense pas seulement au Christ ou aux esclaves compagnons de Spartacus, mais je pense aussi aux paroles prémonitoires de la chanson de John Lennon dans « The ballad of John and Yoko » : « The way things are going, They're gonna crucify me. », c'est-à-dire « Si ça continue ainsi, ils finiront par me crucifier ». Et ils l’ont fait.

    Que dénoncent ces deux clips ? Deux choses : la violence certes, mais aussi et surtout l’exclusion. Dans le premier ce sont les « roux » qui sont à éradiquer, dans le second ce sont les gamins pas « normaux » et, probablement, homosexuels.
    Surtout dans les temps de crise, mais même à d’autres moments, on trouve toujours un « autre » à vous désigner comme victime émissaire, souvenez-vous en France il n’y a pas si longtemps, le « coupable » c’était le Rom.
    Les Grecs antiques avaient un mot pour ça : « pharmakos », nous utilisons plutôt l’expression biblique de « bouc émissaire », mais c’est la même chose. On charge une victime désignée de tous les péchés, on l’exécute et tout rentre dans l’ordre. Je me permets ici de vous rappeler une histoire attribuée à Apollonius de Tyane par Philostrate (pour ceux qui ne connaissent pas voir ici) :
    Apollonius arrive dans une ville en proie à la peste, les habitants lui demandent un miracle, Apollonius avise un mendiant (pharmakos) et le fait lapider par la foule : la peste cessa.
    René Girard dont j’ai déjà parlé dans ma série sur le mimétisme, rapproche cette anecdote de l’attitude de Jésus face à la femme adultère, victime émissaire parfaite puisqu’elle a « péché ». Le Christ répond à la foule : « Que celui qui n’a jamais péché, lui lance la première pierre ». Vous connaissez la suite.
    Mon propos aujourd’hui n’est pas de revenir sur le phénomène de la « victime émissaire », je n’irai donc pas plus loin, je voulais juste vous rappeler que ce phénomène est une constante dans l’histoire de l’humanité.

    D’ailleurs si Romain Gavras (fils de Costa Gavras) le réalisateur du premier clip a choisi les « roux » comme victimes, ce n’est pas innocemment : il sait très bien qu’à de nombreuses époques de l’histoire humaine, les roux ont été vus comme « maléfiques ou démoniaques ». À certaines époques, on tuait systématiquement les enfants nés roux, à d’autres on les brûlait, adultes, comme sorcier(e)s. Pyrausta nous a rappelé que la chose existe toujours même sous forme atténuée.

    La censure et l’exclusion sont deux phénomènes qui me révulsent viscéralement. Vous n’avez même pas idée à quel point.

    C’est un ami (Galmaril) qui m’a signalé ces deux vidéos, je n’ai quasiment pas pu dormir la nuit suivante, non parce que les images qu’on nous montrait étaient insoutenables, mais parce qu’il était question de censurer le clip d’Indochine. J’ai passé une partie de la nuit à faire des sauvegardes de la chose et à le remettre (en vain) sur internet.
    La première fois que je me suis heurté à la censure, j’étais en CM2. Un instit’ que j’aimais (et que j’admire toujours) profondément et qui fut un de mes modèles en tant que prof par la suite, nous avait donné une rédaction à faire sur les « 24 h du Mans ». Je fus hypercritique, dénonçant un truc qui faisait passer la machine avant l’homme (il y avait eu plusieurs accidents mortels les années précédentes). Ça ne lui plut pas, il refusa de noter ma rédaction et m’obligea à la réécrire dans un autre sens. Il faut dire qu’il était fana de voitures et de sport automobile, même qu’il avait une Panhard-Levassor au grand amusement de tous : échappement bruyant et c’était pas un diesel ! Cette fois-là j’ai cédé et j’ai eu une bonne note, ce fut la dernière fois (que je cédai, pas que j’eus une bonne note : les profs ont fini par se faire à moi). J’avais environ 10 ans, je n’avais encore lu ni Voltaire, ni Diderot, ni quiconque de ce genre, mais j’étais révolté.
    Depuis je ne supporte aucune censure, même quand il s’agit de l’exposé d’idées totalement contraires aux miennes : je me suis battu pour que des gens aux opinions gravement opposées aux miennes aient le droit de s’exprimer.

    L’exclusion, c’est pareil : je ne supporte pas. Même bénigne.
    Je ne vous donne qu’un exemple. Un jour, il fut question dans mon collège de créer une sorte de fiche de suivi des élèves depuis la 6ème  jusqu’à la 3ème où seraient notés tous leurs méfaits. J’ai hurlé ! Par malheur pour les initiateurs de la chose, j’avais relu quelques semaines auparavant Les Misérables de Victor Hugo (lecture hautement recommandée). J’ai dénoncé le système proposé comme un retour au « passeport jaune » (lisez je vous dis) et affirmé que, moi vivant dans cet établissement, cela ne se ferait pas. Cela ne se fit pas.
    Et ce n’est qu’un exemple.
    Je ne supporte pas que la « shoah » ait existé, je ne supporte pas plus l’islamophobie, l’homophobie, ou quoi que ce soit de ce genre. Et pourtant, comme je le disais plus haut, je me suis battu pour que des négationnistes, comme Faurisson, aient droit à la parole.

    Ce qui m’amène à rebondir sur le commentaire de Sparfell, commentaire que j’approuve globalement, mais que je suis obligé de nuancer. S’indigner des violences faites aux hommes il y a trois quarts de siècle, ou aux animaux de nos jours encore, n’est pas incompatible avec s’indigner sur les violences actuelles. Au contraire : c’est ce qui permet.
    Prenons un exemple : s’indigner de la manière dont on tue les moutons (les pauvres bêtes, elles souffrent) mais ne pas s’indigner, au contraire, que les personnes qui pratiquent la chose soient exclues, ghettoïsées, expulsées, etc. m’est insupportable. (Vous remarquerez que je n’ai pas donné de nom).
    Je suis absolument indigné de ce qui se passe en Grèce ces temps-ci. J’ai déjà largement diffusé cet article du New York Times, j’en profite de nouveau. Pour ceux qui ne lisent pas l’anglais je résume : de plus en plus d’enfants grecs arrivent le matin à l’école affamés. Pourquoi ? Parce que leurs parents n’ont plus de quoi les nourrir. Oui ! on en est là en Europe aujourd’hui.
    « Indignez-vous ! » disait l’autre qui est mort trop jeune à 96 ans récemment. Je relaie : indignez-vous, battez-vous, cognez, mordez, foutez des coups de genou dans les parties, etc. Arrêtez de vous laisser faire. Arrêtez d’accepter.
    Mais c’est parce que l’on sait que cela eut déjà lieu que nous sommes impardonnables si nous ne réagissons pas : shoah.
    Mais la shoah ne donne pas le droit d’exterminer à petit feu les Palestiniens ! Ni de faire croire qu’être musulman c’est être antisémite. À l’inverse, c’est la même chose.

    Un autre point que Pyrausta dans son commentaire et Sparfell dans sa dernière page ont soulevé c’est le coup du « buzz ».
    Laissez-moi rire. Ni M.I.A ni Indochine n’ont besoin de buzz pour vendre leurs disques.
    M.I.A (de son vrai nom Mathangi Arulpragasam, pour une bio complète voir ici) est une chanteuse anglaise d’origine sri-lankaise et plus précisément tamoule. Et elle sait, dans sa chair, ce que c’est que l’exclusion et la violence. Et elle n’a pas eu besoin de ce clip pour être classée dans le top 50 du magazine Rolling Stones ou d’être nommée parmi les personnes les plus influentes par le magazine Time.
    Indochine, réécoutez leur discographie et vous verrez que ce n’est pas la première fois qu’ils traitent du sujet. Ça ne les a pas empêchés de vendre des millions d’albums, c’est un des groupes français qui a vendu le plus de disques ! Réécoutez vous dis-je : Canary Bay ou 3ème sexe. Ils n’ont pas besoin de scandale pour faire passer un message.

    Autre chose a été évoquée : est-ce que montrer une telle violence ce n’est pas inciter à. Là encore, laissez-moi rire : vous devriez aller plus souvent dans une cour de récré ! Z’ont pas besoin d’images les mômes, ils savent très bien faire tout seuls.
    C’est d’ailleurs une des choses qui m’a plu dans le clip d’Indochine : il montre le vrai. Moi, prof, j’ai connu un môme qui s’est fait tuer à coup de flingue par un ‘copain’, la thèse accidentelle fut retenue. J’ai connu un môme qui s’est pendu par mal-être. Et, beaucoup plus couramment, j’ai vu des familles éplorées me disant que leur enfant ne voulait plus venir à l’école, qu’il avait la boule au ventre tous les matins à l’idée de, parce qu’il savait que toute la journée il devrait endurer les railleries, les moqueries ou pire des autres enfants. Et que fait l’administration face à ça, que font les profs ? Rien. Ont la trouille.
    Moi qui vous parle, j’ai un jour interrompu une bagarre entre deux pétasses sur le trottoir devant mon collège. Bagarre qui amusait fort le groupe de spectateurs qui faisait cercle autour d’elles. Je me suis fait agonir les jours suivants par l’une d’elles : « Non mais, de quel droit vous vous mêlez de mes affaires perso ? » Du droit, ou plutôt du devoir, d’un citoyen, même pas d’un prof. L’a pas compris.

    En leur temps, on a interdit Les fleurs du mal de Baudelaire, ou Le mariage de Figaro de Beaumarchais, ou le Tartuffe de Molière, ou … pour les mêmes raisons, et avant on ne se contentait pas d’interdire on brûlait et pas seulement l’opuscule mais l’auteur.
    Oui, mais me direz-vous, une image, un film, une vidéo c’est bien plus fort encore qu’un texte dont il est plus facile de se distancier. « Ah ! ah ! ah ! » (ceci est un long rire douloureux). J’ai évoqué plus tôt l’assassinat de John Lennon. Vous rappelez-vous pourquoi son assassin, dont je me refuse à dire le nom, le tua ? Au nom d’un livre : « L’attrape-cœur »  de J. D. Salinger ! Un livre, pas un film, pas un jeu vidéo !
    Soyons précis sur ce point : un texte ou une vidéo peuvent faire basculer dans la folie meurtrière quelqu’un, je ne le nie pas. Mais pas le type ou la nana normal(e). Ceux que ça va faire basculer c’est ceux qui sont déjà prédisposés à l’acte. Psychopathes, ça s’appelle.

    Alors vous avez le droit de faire comme les personnages du clip d’Indochine : vous bandez les yeux, ne pas voir, savoir mais ne pas voir et surtout ne rien faire. C’est votre droit.
    C’est juste lamentable.

    - - - - - - -  Edit du lendemain matin :

    En y repensant dans la nuit, je me suis dit que mes deux dernières phrases pouvaient être mal comprises, alors je précise :

    Quand j'y utilise le verbe « voir », je ne parle pas de voir les vidéos ce qui est sans importance. Je parle de voir la réalité qui nous entoure et la violence multiforme qu'elle contient.
    L'idée de censurer de tels clips procède du mouvement général de "politiquement correct" ou de tartufferie actuels : « Cachez ce sein que je ne saurais voir. ».
    Nous ne vivons pas une époque des Lumières, mais, au contraire, une période de régression obscurantiste.

    Pour l'illustrer je vous mets un petit dessin du cartoonist américain Jeff Danziger :

     


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