• J’ai été marié. Il y a longtemps maintenant, plus longtemps que ça n’a duré, mais ce n’est pas exceptionnel. Être marié suppose un minimum de connivence, il y a de ces petits riens qui n’ont aucun sens, mais qui pour ces deux là signifient. Tiens, un parapluie peut signifier Lorient et un presbytère, Colette.

    Un jour, ma femme a disjoncté grave. Et quand je dis grave, c’est grave. Plusieurs mois d’HP, traitement lourd : neuroleptiques à fortes doses et toutes ces joyeusetés. Hagarde, qu’elle était à la sortie. Pendant ces quelques (longs) mois, j’ai été ce que j’appelais « un père et demi » me refusant au statut de père plus mère de substitution. Élever, cajoler, nourrir, faire sourire, câliner, changer, en un mot aimer, un enfant de quelques mois, seul, c’est lourd, très lourd. Je ne sais combien de fois, tard le soir, une fois la pouponne couchée et endormie, me restant quelques tâches ménagères à accomplir, je me suis arrêté, un instant, au milieu de l’escalier, soufflant, soupirant, épuisé, horrifié. L’horreur c’était : « et si, là, bêtement, tu crevais … ». Et le lendemain, on recommence : lever, pardon levers, biberon, toilettes, habits, départ, nounou, boulot, et on revient le soir, nounou, boulot (ce qu’il en reste), repas, pyjamas, risettes, etc.

    Je ne me suis jamais tout à fait remis des cinq mois que cela a duré, mais elle a fini par en sortir de cet HP. Au retour, on a fui en vacances loin : d’abord Paris chez des amis. L’amie s’est soûlée la gueule de voir l’état où elle en était (Soûlée au point de faire pipi devant nous tous dans l'évier de la cuisine !). Puis quinze jours en Allemagne chez des potes à elle, de vieux potes surtout elle, amie d’enfance. A la fin du séjour, l’amie s’est excusée auprès de moi : « J’espère que tu n’attendais pas trop de ce qu’on pourrait faire ». En revenant, on est passé quelques jours à la campagne des amis parisiens. J’en ai un très bon souvenir, ponctuel, j’y ai écouté en boucle Kate Bush (Never for Ever), mais c’est là pourtant qu’a commencé le premier effet secondaire :

    Avez-vous vu le film « Trois hommes et un couffin » ? Quand je l’ai vu, deux ou trois ans plus tard, je l’ai pris en pleine gueule. Pas l’anecdote, la fin. Ces trois foutus célibataires pseudo-endurcis qui n’en voulaient pas de cette gosse, se retrouvaient en déshérence totale quand la mère était venue récupérer l’enfant. Moi, j’en voulais de l’enfant, moi aussi je m’en étais occupé à quasiment plein temps, et voilà que je devenais accessoire. Vide.

    Mais il y a eu un deuxième effet secondaire. Dans Pierre et le loup, le loup mange le canard. Goulûment. Tellement goulûment que le canard survit dans l’estomac du loup. Et d’ailleurs, à la fin, lors de la marche triomphale des chasseurs, tendez l’oreille vous entendez le canard qu’on perçoit à travers le loup. J’avais ce même sentiment. La femme que j’avais connue avant, j’en entendais comme un écho à travers une épaisseur immense de scories diverses. Mais je la percevais encore, faiblement.

    Et, petit à petit, le hautbois est devenu inaudible.


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