• J’habite une maison entourée d’un jardin, un assez grand jardin qui plus est prolongé par les jardins de plusieurs autres voisins. Vaste terrain de jeu pour une bande de chats semi-sauvages. Mais, si ces chats sont farouches, ils ont un Dieu, moi. Un Dieu nourricier auquel ils vouent un culte. Un culte aux rites complexes, fait de prières miaulées lorsque Dieu semble les oublier, fait d’attentes méditatives au sommet d’un mur ensoleillé les yeux rivés sur le Temple, fait de courses effrénées au moindre remuement des portes du Temple, fait de coups de pattes généreusement distribués par le Grand Prêtre aux fidèles ordinaires qui oseraient prétendre à la faveur de Dieu. Mais le moment suprême du culte, toujours pour l’instant inaccompli mais toujours recommencé, est, quand Dieu enfin distribue la Manne nourricière, d’essayer de Le faire chuter au bas des six marches qui mènent du Temple à l’Aire des Agapes en s’efforçant à tout prix de le faire trébucher par quelque moyen que ce soit. Et, si par mégarde, Dieu piétine la patte d’un fidèle, les blasphèmes fusent. Mais d’Action de Grâce, jamais.

    Un jardin donc, et même des jardins. Mais si les jardins voisins sont entretenus : pelouses rases ou potagers soignés, ma flemme native, mon énergie déclinante et mon peu de goût pour la chose ont fait du mien un mélange hétéroclite d’herbes parfois trop hautes, de lierre envahissant, d’arbustes non taillés et d’arbres. D’arbres devenus énormes, branchus, feuillus, touffus, exubérants. Je connais un laurier, petit arbuste de moins d’un mètre planté par mes soins, qui est devenu un mur végétal que le voisin, exaspéré, ébranche parfois rageusement. Une glycine somptueuse et plus vieille que moi enserre et, ainsi maintient plus ou moins verticale, dans ses bras noueux la grille qu’elle a depuis longtemps descellée de son mur. Du temps que je taillais encore un peu et limitais l’envahissement d’un tilleul attenant, ses grappes d’un bleu violacé se mêlaient, à certaines saisons, à des roses pourpres voisines, dessinant une féérie colorée. Un frêne immense, un érable, des figuiers et un noyer commencent à surplomber les maisons avoisinantes pourtant de tailles respectables. Et tout ce petit monde fait des rejets et des recrus, parfois dangereusement proches des murs, et vigoureux.

    Mais qui dit jardin branchu et feuillu, dit paradis pour oiseaux. Et ils l’ont bien compris les bougres. Oiseaux de toutes sortes : mésanges, merles, rouges-gorges, grives, tourterelles, pigeons (récemment), moineaux et pies. Sans compter ceux que je ne sais pas identifier. Même les chats, précédemment mentionnés, ne les effraient pas : les pies sont chargées de la police et ne s’en privent pas. J’ai même vu dans mon jardin, deux ou trois poules aventureuses : logées et soignées chez un voisin, proche mais pas immédiat, elles avaient su trouver suffisamment de trous dans les clôtures intermédiaires pour se faufiler jusqu’à chez moi où elles chassaient les chats de l’Aire consacrée pour y usurper la Manne. Dieu, ces jours-là, dut rester sur l’Aire pour que ses fidèles mangent.

    Ainsi, soit que je me sois levé très tôt, ou, plus souvent, que je ne me sois point encore couché, quand l’aube point, à à peine cinq heures, commence le concert. Et, si le temps le permet, par la fenêtre ouverte, pénètrent les gazouillis, les sifflements, les tchips-tchips incessants, les grincements divers, certaines phrases mélodieuses et certains roucoulements monotones et accablants. Et cela dure. Toute la journée. Parfois à plusieurs, genre chant choral, mais parfois un soliste se distingue : les autres l’écoutent sans doute. Il m’arrive parfois, tard couché vous dis-je, de tenter une sieste. Entreprise hasardeuse : quelque piaf, perché en haut de ma cheminée, se charge volontiers de me réveiller par le conduit de fumée. Et quand, vers le soir, c’est le merle qu’on entend surtout, se mêlent alors les cris stridents des martinets sillonnant les rues voisines. Plus tard, tout ce petit monde se tait, et les chauves-souris se mettent à virevolter entre les branches.

    Je me dis que les forêts de conifères et de cycadées de l’ère mésozoïque devaient être fort bruyantes.


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